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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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s’attrapait à la manière d’une maladie, surtout lorsqu’elle avait été
imposée ? Quoi qu’il en fût, les candidates bien nées ne se pressaient pas
aux portes du cloître. Ses filles, les ex-fillettes communes, ne s’en
formalisaient plus, du moins avaient-elles le bon sens de le prétendre. Sauf
peut-être cette Claire Loquet, une dure dont on se demandait quel étrange
cheminement avait pu la conduire en ce lieu. Certes, Claire était femme de foi,
mais également de rébellion, en un siècle où la rébellion seyait peu aux femmes
et encore moins aux catins, repenties ou pas. Ses yeux noisette vous
épinglaient comme si elle cherchait derrière votre front la trace d’une
duperie. Sa bouche se crispait, prête aux insultes qu’elle retenait mais que
l’on entendait haut et limpide. Quant à ses manières, elle les avait sans doute
héritées d’un ongle-bleu [65] .
Claire était l’une de ces femmes que l’on doit surveiller. Leur charme, leur
faconde et, avouons-le, leur perspicacité en font de redoutables adversaires, prompts
à rallier les indécis sous leur bannière.
    Lorsque la grande prieure avait
interrogé d’un ton sec Angélique Chartier au sujet de son choix, la ravissante
jeune femme avait souri.
    — C’est si… Ne me méjugez pas.
Le choix s’est imposé à moi pour une broutille, un enfantillage qui a fait
basculer ma vie. Je vous ai vues un jour ramasser des châtaignes. Une mignonne
bagarre a éclaté. Vos filles se bombardaient de fruits en riant. Et je me suis
dit soudain… vous allez me trouver bien ridicule… Je me suis dit que Dieu était
là, à ce moment précis. Ces femmes avaient tant souffert, leurs corps avaient
été vendus, parfois saccagés, leurs âmes avaient été humiliées. Néanmoins,
elles jouaient de châtaignes. La ténacité de la vie et son miracle me sont
apparus. Je souhaite de tout cœur rejoindre leur lumière.
    Une chose étrange, disparue depuis
des lustres, avait suffoqué Mélisende. L’émotion. Elle lui était montée dans la
gorge, et une sorte d’insidieuse douleur lui avait serré le cœur.
    Étrangement, un peu de lumière
s’était infiltrée dans ce lieu sinistre depuis l’arrivée d’Angélique.
Étrangement, Mélisende ne l’avait pas combattue. Pourtant, la grande prieure du
cloître de La Madeleine ne voulait pas de joie, et encore moins de chaleur
entre ces murs. Elle souhaitait qu’y demeure l’incessant rappel des souffrances
extérieures, de l’injustice du monde.
    Angélique, avec son intarissable
bonté, son infatigable allégresse, était un aimant puissant. Bien vite, il
avait attiré certaines des anciennes fillettes. Dont Claire Loquet, qui
pourtant s’était constitué au fil des années une petite cour de suiveuses, au
nombre desquelles sa confidente, Henriette Viaud.
    L’espèce de sympathie qui avait
aussitôt lié Angélique et Claire, bien dissemblables, avait alerté madame de
Balencourt. Claire était une méfiante doublée d’une roublarde à qui on ne la
faisait plus depuis longtemps. Quant au charme, elle en connaissait toutes les
ficelles et ne se serait jamais laissé berner. Autre chose ajoutait à l’alarme
de Mélisende de Balencourt : quelle raison avait pu véritablement pousser
cette charmante Angélique, si épargnée par la vie, à les rejoindre, à partager
leur vie de labeur bien plus âpre que celui réservé aux « autres »,
ainsi que les pensionnaires de La Madeleine nommaient les chastes du cloître
Saint-Joseph ? Une fois l’émotion réprimée, cette anecdote de la bataille
de châtaignes lui avait paru peu convaincante. Et pourtant, la ravissante jeune
femme mettait son cœur à l’ouvrage, revendiquant les tâches les plus ingrates,
les plus épuisantes, s’en acquittant avec une constante bonne humeur. Du coup,
Claire n’avait presque pas protesté de la semaine au prétexte qu’on lui
réservait les corvées les plus déplaisantes pour la punir, sans motif autre que
l’exécration que lui vouait la grande prieure. Mélisende étouffa un soupir en
rejoignant l’inconfortable recoin qui lui servait de bureau. Claire Loquet ne
devait jamais sentir à quel point elle se méprenait. Au fond, la prieure se
reconnaissait dans cette femme encore jeune, dans sa révolte, dans le désordre
de ses excès de ton. Mais le désordre et la révolte peuvent mener au pire,
c’était l’intime conviction de madame de Balencourt, aussi convenait-il de les
mater au plus

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