Monestarium
déplaisir.
— Votre pardon. Vous ne méritez
certes pas ce rapprochement, concéda Claire. Cela étant, n’y voyez nulle
billevesée. Toutes les abbayes de ce temps furent construites sur le même plan.
Les artères voûtées des souterrains servent à l’écoulement des eaux sales et
des déjections. Pourtant, on peut se demander pourquoi certaines sont larges
comme des avenues, permettant le passage d’un charroi, et semées d’anneaux de
flambeaux afin d’en garantir l’éclairage.
Soudain méfiante, Angélique
s’enquit :
— Les auriez-vous visités, ces
souterrains, pour les décrire de la sorte ?
— Malheureusement, je n’en ai
jamais découvert l’accès. Les moniales du cloître de La Madeleine, ainsi que
vous l’avez appris, n’ont que fort peu d’occasions de s’aventurer ailleurs, si
ce n’est au rucher, dans les vignes, au pressoir ou dans les vergers.
— Allons, on vous croirait
encagée, protesta faiblement Angélique.
— L’image de la geôle s’impose
parfois à l’esprit, en effet. Faites donc le tour des clôtures. Il n’existe
qu’un passage permettant de lier La Madeleine au reste du monde. Au contraire
des autres, il bute sur une grille, toujours fermée.
— Les clôtures sont faites pour
nous protéger et nous permettre de méditer.
— À ce que l’on prétend. Pour
en revenir à notre conversation, pensez-vous que tenir secrète l’existence de
ces souterrains est un mensonge ?
Angélique eut soudain la certitude
que l’autre la menait vers un but précis, sans toutefois parvenir à le cerner.
Elle biaisa :
— Eh bien, peut-être
existe-t-il une excellente raison à cela. Peut-être sont-ils très dangereux,
infestés de vermine ou de maçonnerie peu fiable, que sais-je…
— Ah, je vous dérange encore,
siffla une voix derrière elles. Décidément, vous semblez avoir tant de sujets
de discussion !
Angélique se retourna, confuse.
Henriette Viaud la fixait d’un regard peu amène. Profitant de cette
interruption pour mettre un terme à son échange de plus en plus suspect avec
Claire, elle se leva et déclara :
— Les dalles luisent comme un
sou neuf. Allons, il me faut rejoindre les autres au rucher. Notre grande
prieure s’inquiète. Elle a le sentiment que deux de nos ruches virent
bourdonneuses [67] ,
faute de roi [68] .
Nous risquons de perdre pléthore de miel. À vous revoir très vite, mes sœurs.
Elle tourna les talons, résistant à
l’envie de courir vers la porte.
Le visage fermé et hargneux
qu’adoptait Henriette disparut. Elle destina un clin d’œil complice à Claire et
s’approcha pour murmurer à son oreille :
— Qu’en penses-tu ?
— À moins que je ne m’abuse
gravement, et qu’elle soit fieffée amuseuse, elle ignore tout des souterrains.
Cependant, je crois qu’elle est envoyée en mission d’espionnage. J’aurais
d’abord parié que sa commanditaire était Hucdeline de Valézan. Toutefois, sa
réaction à son nom m’en dissuade.
— L’abbesse ?
— Pourquoi pas ? Je la
croyais plus intelligente que cela. À moins d’être une rouée sous ses airs de
candeur, Angélique n’est pas l’espionne que je me serais choisie, rétorqua
Claire avec ironie.
— Pourquoi fouinerait-elle à La
Madeleine ?
— Pourquoi… ou pour qui ?
— L’abbesse se douterait-elle
que… Nous serions perdues !
— Chut ! Je ne le crois
pas. Toutefois, nous devons redoubler de prudence.
— C’est également mon avis,
aussi pourquoi avoir mentionné les souterrains à Angélique ? osa
Henriette, d’un ton de prudent reproche.
— Je voulais m’assurer qu’elle
en ignorait l’existence. De surcroît, comme chaste, elle est plus libre de ses
mouvements que nous. Avec un peu de chance, peut-être la curiosité
l’emportera-t-elle sur l’obéissance et peut-être tentera-t-elle d’en trouver
l’entrée. Je crois être parvenue à me faire apprécier d’elle. Elle se confiera
et si elle hésite, j’arriverai à lui tirer les vers du nez. Quoi qu’il en soit,
dans l’incertitude où nous nous trouvons au sujet de son rôle exact, le plus
avisé consiste à la tromper. Après tout, nous nous y entendons. Continuons donc
de lui jouer la comédie. Moi de l’amitié, toi de la jalousie, commanda Claire
d’un ton froid.
— Et si elle venait à voir
clair dans notre jeu ?
— Il faudrait alors changer de
stratégie.
L’inquiétude se peignit sur le
visage d’Henriette.
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