Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
aurait parié qu’il s’agissait des deux hommes qui l’avaient
suivie jusqu’en royaume de France. Elle ne les avait point vus alentour. Se
dissimulaient-ils sous les traits d’un des nombreux serviteurs laïcs qui
allaient et venaient dans l’abbaye et auxquels nulle ne prêtait
attention ? Ou alors, jouissaient-ils d’une complicité parmi les moniales,
et si oui, laquelle ? Et si oui, pourquoi ? La jeune femme avait eu
beau fouiller le moindre recoin de son souvenir depuis des années, aucun début
de réponse ne s’était présenté à elle. La seule hypothèse à laquelle elle en
revenait à chaque fois la convainquait à peine. Peut-être Alfonso lui avait-il
un jour révélé quelque chose qu’elle avait jugé assez bénin pour l’oublier
aussitôt, mais que d’autres savaient de la plus cruciale importance. Au point
de tuer. Quoi ? Alfonso était un être délicieux et léger que les secrets
d’État intéressaient bien moins que les jeux d’alcôve, les longs poèmes, les
mets raffinés, ou les portraits de dames ou de Vierge qu’il peignait.
    Son pied heurta un objet qui
rebondit plus loin avec un son désagréable. Elle s’agenouilla avec précaution,
poussant l’objet de bois du bout de l’index. Une cliquette. Intacte et vierge
de neige, comme le cadavre. La stupéfaction la cloua. Les lépreux avaient interdiction
de sortir du cloître de La Madeleine, de jour comme de nuit. Les lourdes portes
qui le séparaient du reste du monde étant en permanence verrouillées. Pourquoi
donc cette tournette [110] se trouvait-elle ici ? La lumière se fit brutalement dans son esprit.
Tablant sur la terreur et la défiance qu’inspiraient les malades, surtout
depuis leur soulèvement, les assassins avaient trouvé un moyen d’orienter les
soupçons vers eux. Ne les accusait-on pas volontiers de pratiques de magie
noire et de commerce avec les démons ? Ne leur prêtait-on pas tous les
vices, et toute la méfaisance du monde ? La rage remplaça soudain le
chagrin et elle se redressa, mâchoires serrées. Elle avait affaire à d’odieux
pleutres, à de sinistres assassins. Elle récupéra la cliquette, ne sachant
qu’en faire. Étrangement, il lui parut soudain vital qu’une épouvantable
injustice ne puisse se commettre. Pour le souvenir de la tendre Angélique. Un
sourire désespéré lui vint. Avait-elle tant changé depuis son arrivée entre ces
murs ? Elle que l’existence des autres, leurs désirs, leurs regrets, leurs
joies ou leurs peines, avait si peu affectée auparavant. Elle s’agenouilla
contre le flanc de la petite morte bleuie et pria pour le repos de son âme avec
une ferveur qu’elle avait oubliée depuis longtemps. À sa prière se mêlèrent des
images. Des moments d’Angélique, que cette mort lui rendait proche comme une
sœur de sang. Marie-Gillette crut presque entendre le rire limpide, la voix de
jeune fille résonner dans son esprit. Angélique ne devait pas demeurer ainsi,
il ne fallait pas que les autres voient ses yeux opaques, sa langue pendre à
l’extérieur de sa bouche. Marie-Gillette bagarra pour la repousser derrière les
dents de la jeune morte. Elle lui ferma ensuite la bouche de force en appuyant
sur son crâne et en lui soulevant le menton, et s’acharna à lui clore les
paupières. Un ridicule soulagement lui vint : hormis la couleur bleu-gris
de son épiderme et l’affreux bourrelet de chair qui recouvrait en partie la
tresse de crin, sa douce sœur avait retrouvé une apparence qui ne la blesserait
plus par-delà la mort. Enfin, les larmes qu’elle avait retenues depuis la
boucherie de Castille dévalèrent le long des joues d’Alexia. Enfin, elle
sanglota sur son amant abattu comme une bête, sur cette jeune femme que la
générosité du cœur avait menée à son trépas. Elle sanglota sur l’iniquité
triomphante du monde qui jamais ne serait un magnifique jardin peuplé d’êtres
de compassion et de bienveillance. Un engourdissement bienvenu la préservait du
froid. Sans même qu’elle le sente, son corps fléchit, cédant à l’envie de
s’allonger dans la neige contre Angélique et de s’endormir à jamais. Une voix,
la sienne, tonna dans son esprit : Trop simple, trop lâche ! Tu veux
comprendre « pourquoi », affirmes-tu ? Le cherches-tu
vraiment ? La terreur t’étouffe depuis des années. Elle ne cessera jamais
tant que tu reculeras. Il te faut l’écraser. Tu le sais, il s’agit là de la
seule parade contre la

Weitere Kostenlose Bücher