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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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tant l’existence qu’elle avait découverte
aux Clairets ressemblait à une interminable demi-mort. Une seule chose la
retenait encore de renoncer, d’accepter : elle voulait savoir. Elle
voulait savoir pourquoi ces hommes la poursuivaient, qui ils étaient et
pourquoi ils avaient abattu Alfonso de Arévolo. Alfonso… Cher, brillant
Alfonso. Qu’as-tu fait ou dit pour mériter ce sort ? Rien ne lui venait à
l’esprit. Alfonso le dépensier, le majestueux, le croqueur de vie. Alfonso,
l’amant magnifique, le fou délicieux. Alfonso et ses charmantes inventions. Il
la réveillait la nuit afin qu’elle danse nue pour lui sous les amandiers ou
pour lui lire un poème qui lui mettait les larmes aux yeux. Alfonso qui
dilapidait en présents, en mets délicats et en vins fins l’héritage paternel.
Pourquoi t’ont-ils exécuté sans te donner une chance de te battre en combat
loyal ? Pourquoi veulent-ils m’occire comme une bête ? Car ils
veulent m’assassiner à ta suite.
     
    Elle contourna la haie de
châtaigniers. Un tapis de neige recouvrait les petits tas de vaisselle abîmée
qu’elle avait constitués la veille. En dépit de l’absence de vent, l’odeur
nauséabonde du putel éloigné d’une bonne quarantaine de toises lui parvenait
par instants. Dans la semi-pénombre de ce levé d’aube, un monticule plus
volumineux attira son regard vers le centre du dépotoir. Elle plissa des
paupières, peu désireuse d’avancer à l’aveuglette au risque de se couper une
cheville sur un éclat de grès. Qu’était cette chose qui dépassait de la butte
et ressemblait à un gant ? Un gant pâle. Le mot se forma dans son esprit
avant qu’elle le comprenne : une main. La main d’une moniale dont la robe
blanche se confondait avec la neige. Marie-Gillette avança comme dans un rêve
vers le corps, escortée par les plaintes sèches des poteries qu’elle écrasait
sous ses pas. Figée, elle détailla le visage bleui, les lèvres boursouflées
d’un violet presque noir dont sortait une langue gonflée, les immenses yeux
bleus ouverts sur le néant, les sourcils très blonds et la tresse de crin
enroulée autour de la gorge. Un flot âcre de salive lui obstrua la gorge.
Angélique. La douce Angélique Chartier, qu’elle n’avait pas vue depuis des
semaines, avait été étranglée avec le lien qui pendait toujours à son cou.
Angélique, l’adorable moniale qui venait de prononcer ses vœux définitifs. Un
jour, elle s’était amusée de leur ressemblance physique.
    Un inattendu chagrin submergea
Alexia, ou plutôt Marie-Gillette. Elle se baissa, frôlant le visage de la
gentille morte. Elle était encore tiède, et seuls quelques flocons de neige
parsemaient sa robe. Angélique n’était pas décédée depuis très longtemps, la
neige n’ayant cessé de tomber qu’après vigiles*. Un lien de cuir noir dépassait
de sous sa hanche. Marie-Gillette le tira, bagarrant contre l’inertie du
cadavre. Elle parvint à extirper la bougette coincée sous sa jeune sœur.
Lorsqu’elle l’entrouvrit, un flot de larmes lui noya le regard. Deux belles
tranches de pain tartinées de suif, quelques prunes sèches [107] et une boutille [108] de jus de pomme. Une peine fulgurante lui arracha un sanglot. Angélique l’avait
devancée au dépotoir afin de lui porter de quoi résister au froid mordant de
cette fin de nuit. Sans doute avait-elle profité de son amitié avec Clotilde
Bouvier, leur énergique pitancière, pour prélever discrètement les aliments
puisque, à l’exception de tisanes chaudes en hiver ou d’eau fraîche à l’été,
aucune nourriture ne devait être distribuée en dehors des repas, sauf aux
malades alitées. Surtout durant la pénitence de l’Avent précédant la Noël [109] .
Angélique n’avait pas hésité à enfreindre la règle du cloître de La Madeleine
où son amour du prochain l’avait conduite. Elle avait contourné la clôture,
contourné les ordres afin de rejoindre son ancienne amie et lui porter un peu
de réconfort.
    Marie-Gillette tarda à accepter ce
qu’elle pressentait depuis la découverte du mince corps sans vie. L’assassin ou
les assassins s’étaient mépris. Ils avaient tué Angélique en la confondant avec
elle, ce que l’obscurité, leur ressemblance, et surtout l’endroit rendaient
explicable. En d’autres termes, ces monstres connaissaient la nature de sa
corvée de semaine et l’attendaient de pied ferme afin de l’occire.
Marie-Gillette

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