Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
de les apercevoir
jamais, elle ne s’en serait point offusquée. Enfin, cette affreuse semaine
était passée. Elle avait porté les panières de linge et de vivres jusqu’à la
clôture, les poussant ensuite du pied sur la terre battue du sentier qui menait
à la petite chapelle de La Madeleine, refermant aussi vite qu’elle le pouvait
la lourde porte de bois sombre qui condamnait ces lieux de crainte et
d’abandon, terrorisée à la pensée qu’un bras monstrueux allait surgir pour la
tirer vers l’intérieur. On murmurait que même les catins, du moins certaines,
avaient protesté d’être ainsi parquées avec les ladres. Elles étaient pourtant
peu exigeantes, travaillant trois fois plus que les chastes, soutenues par la
promesse de l’Église que le labeur ingrat et les pénitences laveraient leurs
âmes de tous « péchés ».
    Quoi qu’il en fût, cette verrue
d’Adélaïde Baudet n’en avait pas fini avec elle, ni avec les humiliations
qu’elle entendait lui infliger. Après la semaine de maladrerie, elle l’avait
désignée pour une nouvelle semaine de dépotoir [104] . En ces lieux de
grand soin et d’extrême économie, on ne jetait presque rien et l’on cassait
encore moins. La corvée de dépotoir aurait donc dû se limiter à deux gobelets
et un cruchon à transporter jusqu’à l’ouest de l’enceinte de l’abbaye, à deux
cents toises des cuisines, où un monceau de rebuts s’accumulait depuis un
siècle derrière un rideau de châtaigniers. Que nenni ! Adélaïde ne
l’entendait pas de cet air. Selon elle, la semainière devait également opérer
un tri. Elle entendait qu’à la fin de la semaine, Marie-Gillette ait nettement
séparé les débris par tas distincts. Un monticule de vaisselle brisée, un autre
de fendue, un troisième d’ébréchée. La logique présidant à ce maniaque
inventaire demeurait un mystère pour la jeune moniale. Seule la perversité
d’Adélaïde pouvait, selon la jeune femme, expliquer ce catalogue de bris divers
et variés. Tant qu’elle y était, pourquoi la sœur cherche n’avait-elle pas
exigé qu’elle séparât les timbales des pots, des cruches, et des
chaudrons ?
    C’est donc d’exécrable humeur,
remâchant son aigreur, que Marie-Gillette s’avança vers la haie de
châtaigniers. Le jour n’était pas encore levé. Dans la nuit, une épaisse couche
de neige avait recouvert l’herbe desséchée par l’hiver, lui rendant une
élégance bleutée. La jeune femme serra ses bras sur sa poitrine, coinçant ses
mains sous ses aisselles dans une vaine tentative de les réchauffer un peu.
Elle pesta dans son souffle : elle aurait l’onglée d’ici le midi, à coup
certain. Une horrible idée germa dans son esprit. Et si c’était précisément ce
que recherchait Adélaïde Baudet ? La rendre malade, ou pis, l’occire
lentement ? Elle trébucha sur une souche dissimulée par le manteau neigeux
et se tordit le pied. Une crise de larmes la suffoqua. L’inanité, la stupidité
de ses efforts la frappa de plein fouet. À quoi servait tout ceci ? Une
sorte de haine envers elle-même lui donna envie de crier, de taper dans quelque
chose, n’importe quoi. Elle avait connu les bonheurs du monde, ses joies, ses
fastes, sa facilité. Elle avait tant été aimée, ne prenant qu’accidentellement
la peine de rendre cet amour. Elle avait vu, touché, senti tant de choses
magnifiques. Et puis, tout avait basculé sans qu’elle en comprenne la raison.
    Cet après-midi-là, elle somnolait
dans une chambre noyée du soleil de Castille. Seulement enveloppée d’un tulle
fin, elle souriait. Une petite fille brune éventait son demi-sommeil. Le goût
salé de la sueur qui humidifiait sa lèvre supérieure. L’odeur de lavande et de
romarin mêlés qui filtrait par les volets mi-clos. Dans sa gorge le goût d’un
vin sombre et puissant comme le sang d’un taureau. Un choc contre la porte qui
menait à la grande salle commune. Elle s’était redressée, son sourire
s’élargissant. Un bruit sourd, rien d’autre. Quelques secondes s’étaient
écoulées. Elle s’était levée, surprise, pas même inquiète. Flanquée de la
petite fille, elle avait entrouvert la porte. D’abord, elle n’avait rien vu. Et
puis, quelque chose de tiède et de gluant avait enserré son mollet. Elle avait
baissé les yeux. Alfonso s’était écroulé à genoux, retenu par le chambranle. Le
manche orfévré d’une large dague dépassait de sa gorge, et un flot

Weitere Kostenlose Bücher