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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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de sang
s’écoulait sur son chainse [105] de soie. Le temps s’était suspendu durant une éternité qui n’avait duré qu’une
seconde. Que signifiait cette scène ? Pourquoi Alfonso de Arévolo
ouvrait-il la bouche ? Pourquoi vomissait-il de petites bulles rouge
vif ? Pourquoi murmurait-il « Fuis ! Emporte le
diptyque ! » avant de s’écrouler vers l’avant ? Une autre
seconde d’incompréhension, la sensation que son esprit venait de l’abandonner
soudain. Une panique l’avait jetée dans la chambre. Elle avait congédié d’une
gifle la fillette qui sanglotait et ramassé ce qu’elle pouvait emporter, dont
les rouleaux du petit diptyque, entassant le tout dans sa bougette. Elle
s’était vêtue à la hâte et tout le temps que nécessitaient ses gestes, elle
s’était demandé « Pourquoi ? ». Elle n’avait pas pleuré, elle
n’avait pas hurlé. Elle s’était juste demandé, encore et encore,
« Pourquoi ? ».
    Elle avait marché au hasard tout le
jour, sous un soleil accablant. Des chiens errants l’avaient poursuivie, des
gamins avaient tenté de lui arracher le sac dont elle avait passé la
bandoulière autour de son cou. Elle les avait chassés à coups de pied. Et tout
le temps, elle s’était demandé « Pourquoi ? ». Et tout le temps
son esprit avait été vide de pensées, à l’exception de cette question :
« Pourquoi ? » Au soir échu, elle était enfin arrivée à Almazan,
une grosse bourgade située sur le fleuve Douro, exténuée, assoiffée, les
cheveux et le visage gris de la poussière blanchâtre des chemins. Elle s’était
arrêtée dans une auberge. Elle devait avoir piètre allure puisque le tenancier
avait exigé :
    — Qui dort dîne [106] ,
et on règle d’avance !
    Elle s’était exécutée, sans un mot.
Lorsque, après s’être débarbouillée comme elle le pouvait à la cuvette de sa
chambre, elle était descendue afin de se restaurer, une conversation l’avait
fait piler dans l’escalier. Deux hommes interrogeaient l’aubergiste, lui
promettant quelques belles pièces s’il pouvait les renseigner. Deux hommes, pas
des gueux à en juger par leur mise et leur élocution. Ils cherchaient une jeune
élégante, blonde comme les blés, aux yeux clairs, la nièce d’alliance de leur
maître, prétendaient-ils. Ils la devaient mener au couvent de Soria, mais
l’écervelée s’était entichée d’un gars au point de profiter d’une halte pour
s’enfuir. Une damoiselle Alexia de Nilanay. Elle.
    Alexia était remontée sans bruit, se
terrant dans sa chambre en grelottant de peur. Lorsque la soubrette avait cogné
à sa porte, elle avait feint d’être endormie. Elle s’était faufilée à la nuit
en cuisines, avalant ce qu’elle trouvait : un quignon de pain rassis, une
poignée d’olives et une tranche de lard suintante. Elle avait ensuite tenté de
dormir quelques heures, mais d’incompréhensibles cauchemars la réveillaient par
à-coups. Alfonso s’esclaffant comme elle avait tant aimé le voir, le poignard
vernis de rouge planté dans sa gorge tressautant à chaque nouvel éclat de rire.
Alfonso dessinant de sa langue de délicieuses arabesques sur la peau pâle de
son ventre et se redressant, abandonnant l’empreinte sanglante de son grand
corps d’homme sur sa fine chemise de nuit. Alfonso chantant à tue-tête
« Fuis, mais fuis donc ! ». Elle avait quitté l’auberge à
l’aube, certaine que le tenancier reconnaîtrait la « jeune élégante
blonde » de la description maintenant qu’elle était présentable. Il ne
dédaignerait pas les belles pièces promises.
    Alexia de Nilanay était montée vers
le nord. Elle n’avait dû la vie sauve qu’à sa fuite dans les ruelles d’Auch. La
traque avait repris.
    Un jour de marché, à la
Ferté-Bernard, une bourgeoise non loin d’elle avait prononcé ce nom : les
Clairets. N’était-ce pas Alfonso qui lui avait conté l’histoire d’une sienne
marraine, ou tante ou cousine, moniale dans ce couvent ? Elle n’aurait pu
le jurer, mais y avait vu un signe.
    Alexia de Nilanay s’était transformée
en Marie-Gillette d’Andremont, s’inventant un passé assez flou pour lui éviter
les bévues de mémoire. Une famille décimée par une mauvaise fièvre. Elle
s’était condamnée à une vie de désert et d’humiliations, prétendant les avoir
souhaités lorsqu’elle avait prononcé ses vœux définitifs. Luttait-elle pour sa
vie ? Elle venait à en douter

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