Monestarium
Plaisance de Champlois
demanda :
— Est-ce là tout l’examen que
vous entendez conduire ? Enfin, monsieur, qu’attendez-vous ? Nous
l’avons frôlée et nous ne sommes pas mortes.
Le fard monta aux joues de l’homme,
qui condescendit à s’agenouiller et à défaire la tresse de crin. Marie-Gillette
précisa :
— Ses yeux étaient grands
ouverts lorsque je l’ai découverte et sa langue pendait hors de sa bouche.
— Alors, il s’agit bien d’un
étranglement, approuva le médecin.
— A-t-elle été… Enfin,
croyez-vous qu’elle ait subi des outrages de femme ? s’enquit l’abbesse.
Messire Lebray se redressa comme si
on l’avait piqué.
— Madame… Enfin, ma mère, je ne
suis pas ventrière et encore moins matrone jurée [113] !
— N’enfantant pas, nous n’en
disposons pas en ces lieux. Aussi, vous voudrez bien vous assurer que notre
chère Angélique n’a pas été…
— C’est exclu ! Je ne… Je
ne… Enfin, il s’agit d’un acte d’une grande impudeur. Il faudrait être bien
déhonté ! Je me permets de vous rappeler ma qualité de clerc… Je refuse
de… d’examiner de près cette… chose. C’est répugnant…
Il semblait en effet sur le point de
dégorger.
— Vous en êtes pourtant sorti,
lâcha sans même le vouloir Marie-Gillette.
Cette repartie lui valut un regard
de biais de l’abbesse dont elle ne sut s’il était de réprobation. Estomaqué, le
médecin souffla :
— Quelle… grossièreté !
— Non, c’est vous qui êtes
méprisable en plus d’être un insupportable fat.
— Il suffit ma fille, intervint
l’abbesse d’un ton plat. Nous sommes sous le choc. Rentrons. Des serviteurs
viendront chercher sous peu Angélique afin de la conduire à l’infirmerie.
Peut-être une de nos sœurs là-bas saura-t-elle nous renseigner.
Marie-Gillette acquiesça d’un
hochement de tête. Mais Plaisance de Champlois n’en avait pas terminé :
— Quant à vous, messire
médecin, que votre bagage soit prêt à la midi. Nous nous passerons dorénavant
de votre service, et ceci jusqu’à l’arrivée de votre successeur.
— Mais je…, s’écria le sieur
Lebray.
— Faites silence à
l’instant ! ordonna la très jeune fille d’un ton sans appel. Vous
m’offensez les oreilles.
Rebroussant chemin vers les
cuisines, elles découvrirent Hermione de Gonvray au bord de l’étendue neigeuse.
La sœur apothicaire était plus livide que son voile.
— En avez-vous terminé, ma
mère ? Je souhaite l’examiner en solitude avant qu’on ne la transporte.
— Faites, chère Hermione.
Monsieur Lebray nous quitte. Avant que n’arrive notre prochain médecin, nous
nous remettons entre vos mains expertes.
Plaisance de Champlois se dirigea
vers les cuisines, suivie de Marie-Gillette. Cette dernière se retourna,
caressant d’un ultime regard d’affection ce frêle amas de laine blanche qui
avait été une amie. Elle vit Hermione de Gonvray, à genoux contre le flanc
d’Angélique, se signer et porter la main de la petite morte à ses lèvres pour
la baiser.
Ce fut Marie-Lys Travers, une des
sœurs infirmières, qui les renseigna. Angélique Chartier était toujours vierge.
Sur le moment, Marie-Gillette d’Andremont s’interrogea sur cette insistance.
Quoi, valait-elle mieux qu’elle soit morte étranglée que violée ?
Elle-même avait perdu son hymen assez volontiers et ne l’avait que fort peu
regretté. Elle fut cependant assez avisée pour taire ses commentaires. Ce
qu’elle prenait pour de la pruderie de la part de l’abbesse se révéla vite plus
avisé.
— Ainsi donc, le mobile n’est
pas un ignoble dérèglement des sens, une perversion charnelle ? commenta
l’abbesse après l’explication de Marie-Lys.
Marie-Gillette se fit la réflexion
que cette déduction semblait lui peser, puis balaya aussitôt cette impression
déplacée.
— Quoi alors ? poursuivit
Plaisance de Champlois, d’un ton que la tension gagnait. Nous ne possédons rien
de personnel, et je suis bien certaine que la douce Angélique aurait été
incapable de blesser, de léser qui que ce fût, l’eût-elle souhaité. La
vengeance semble donc également exclue. À moins d’imaginer une possession ou
une folie passagère, je… (Elle se tourna vers Marie-Gillette et demanda soudain
en la dévisageant :) Qu’en pensez-vous, ma fille ?
La question était si directe et
surtout si lourde de sous-entendus que cette dernière sentit le
Weitere Kostenlose Bücher