Monestarium
une
pause, son regard s’évadant à nouveau pour se poser sur le dorsal.) Un futur de
grande prieure, par exemple. Or… à moins qu’Hucdeline décède soudainement ou
soit destituée par le chapitre… je ne vois guère comment je pourrais accéder à
cette fonction et, très franchement, je n’ai pas eu le sentiment qu’elle
évoquait son prochain trépas.
— Sauf si…, hésita Plaisance en
fournissant un effort pour raffermir sa voix.
— Sauf si. Sauf si Hucdeline
devenait abbesse et qu’Aliénor de Ludain… sortait d’une manière ou d’une autre
de la liste des candidates au rang de grande prieure, termina pour elle la
boursière.
— Vous a-t-elle approchée…
avant le trépas d’Aliénor ?
— Quelques heures avant les
premiers symptômes de son enherbement.
Une onde glacée envahit Plaisance de
Champlois. Qu’Hucdeline de Valézan œuvre à la faire destituer, elle le savait
depuis longtemps. Elle prendrait ainsi sa succession à la tête des Clairets et
devrait pousser une grande prieure qui lui soit favorable. Il n’existait pas
tant de prétendantes qui possédassent la consistance et l’obéissance requises.
Aliénor ? En toute logique, si Hucdeline devenait abbesse, Aliénor aurait
dû assumer l’ancienne fonction de son amie. Or, de toute évidence, elle n’était
pas prévue dans le canevas d’Hucdeline. Évincer Aliénor de Ludain tombait sous
le sens. Elle n’avait ni l’épaisseur, ni le rayonnement d’une grande prieure
des Clairets. Le choix d’Aude de Crémont se légitimait. Certes, mais que faire
d’une ancienne alliée, sans doute confidente, sans se la mettre dangereusement
à dos ? Au fond, le décès de la sous-prieure tombait à point pour Hucdeline
de Valézan. Terriblement à point.
La chronologie du plan de son
ennemie et la soudaine témérité dont elle faisait preuve rongeaient l’abbesse.
Hucdeline progressait presque à découvert, ce qui signifiait qu’elle avait reçu
de nouvelles assurances quant à sa très prochaine élection. De quelle
nature ? Émanant de qui ? Son frère ? Le sol se dérobait sous
les pieds de Plaisance de Champlois. Elle n’était pas de taille à rompre en
visière avec Jean de Valézan. S’il était à la hauteur des rumeurs qui
circulaient, l’archevêque alliait la ruse à la férocité, sans oublier la
sournoiserie. Aucun coup n’était blâmable à ses yeux, pourvu que ce soit lui
qui le porte.
Aude de Crémont la fixait depuis
quelques instants, pouvant presque suivre le cheminement de son esprit. Plaisance
de Champlois avait peur, mais maintenait digne figure. Ainsi, elle était brave,
et assez intelligente pour mesurer l’insuffisance de ses forces. Une sorte
d’estime lui vint pour la très jeune fille qu’elle n’avait considérée jusque-là
que comme un pion précieux qu’il convenait de manipuler avec égards. Aude
s’interrogea et décida de lui apporter une aide. Pour le panache, rien d’autre.
L’avenir dirait ce qu’en ferait l’abbesse, si elle le demeurait assez
longtemps.
— Le plus déroutant, ma mère…
Plaisance reprit pied avec
difficulté. Elle se contraignit à l’attention tant les pensées se bousculaient
dans son esprit.
— … si j’osais, j’utiliserais
l’adjectif « insolite [150] »,
c’est que notre prévoyante grande prieure me rendit cette visite quelques
heures avant l’horrible malaise de sa sous-prieure, lors de ce funeste souper
qui restera à jamais gravé dans nos mémoires…
Sur le moment, Plaisance ne comprit
guère l’insistance de cette précision. Aude se fit un plaisir de l’éclairer
aussitôt.
— … c’est-à-dire, si j’en crois
de menus bavardages entendus çà ou là, précisément au moment où elle a prétendu
devant vous et monsieur de Mortagne se trouver en notre bibliothèque. Une
confusion, c’est certain. Le résultat de son infini chagrin au trépas de son
amie. Pensez… Elle était si bouleversée qu’elle ne pouvait même pas la veiller.
Sans trop savoir pourquoi, Plaisance
eut la certitude que sa fille boursière venait de lui rendre un inestimable
service. Elle se préoccuperait plus tard des desseins d’Aude et de son intérêt
à proposer une alliance à son abbesse en délicate situation. Il lui sembla
essentiel de le lui faire comprendre. Un instinct lui souffla d’avancer, elle
aussi, à visage découvert. Elle commença, adoptant un ton détaché :
— Ma chère fille, je suis flattée
de la
Weitere Kostenlose Bücher