Montségur, 1201
interrogé. Malheureusement le sire Brasselas a eu la main trop
lourde. Mais cet ermite méritait son sort, car c’était un hérétique.
Guilhem fit un nouveau pas.
— Vous nous suiviez depuis
Saint-Gilles ? demanda-t-il à Castelnau.
— Oui. J’avais deviné que cet Allemand impie
allait rechercher la pierre satanique, et peut-être la retrouver. Après avoir
quitté Saint-Gilles, nous nous sommes cachés pour l’attendre et le suivre. Mais
il était avec vous et vous chevauchiez trop vite pour nos ânes. Nous vous avons
perdus.
« Dans sa grande bonté, le Seigneur nous a
envoyé Brasselas et ses gens, que j’ai engagés. C’est lui qui vous a retrouvés
près de Saverdun. On vous a suivis jusqu’à Foix où j’ai appris qu’un ermite,
près de Tarascone, avait guidé l’hérétique Nicétas.
« Interrogé par Brasselas, l’ermite a parlé
d’une source proche de Bélesta, seulement il est mort avant d’en dire plus.
Nous avons déjà vu trois sources. Mais sans savoir où il fallait chercher, nous
allions abandonner quand, nous approvisionnant au village, on nous a dit que
des chevaliers venaient d’acheter une corde, répondit le plus petit.
Le frocart eut un sourire en levant les yeux vers
le ciel :
— Quand le Seigneur conduit nos pas, ils sont
fermes et notre marche lui plaît…
— Assez caqueté comme de vieilles
femmes ! Donnez-nous ce que vous êtes allé chercher dans ce gouffre !
ordonna le moine aux yeux de braise.
— Vous, qui êtes-vous ? lui demanda
Guilhem.
En parlant, il avait fait un pas dans sa
direction.
— Je suis Bernard d’Urgio, frère du noble
évêque d’Urgel. Où est-elle ? Où est la pierre ?
— Si votre frère est issu d’un lignage noble,
vous êtes sorti d’une truie ! Pourquoi avez-vous tué Sanceline ?
s’enquit Guilhem d’un ton égal, faisant encore un pas.
— On ignorait que c’était une femme,
intervint frère Guy. Elle s’est attaquée à notre frère, il n’a fait que se
défendre.
— Ce n’était pas un crime puisque c’était une
hérétiq… ! glapit Urgio.
Guilhem s’était élancé avant qu’il ne finisse sa
phrase. Le carreau de l’arbalète de Brasselas siffla près de son oreille, mais
il avait déjà saisi Urgio par sa robe et s’était jeté dans le ravin en
utilisant son corps comme un bouclier.
Il s’était souvenu de ce que lui avait raconté le
comte de Foix. De cet ours acculé qui avait utilisé un corps humain comme une
protection pour dévaler un ravin. Si l’ours l’avait fait, pourquoi pas
lui ?
Le hurlement de terreur que proféra Urgio
assourdit ses oreilles quand il chut dans le vide. Puis il y eut un choc et des
branches le fouettèrent. Guilhem s’efforçait de tenir le religieux contre sa
poitrine, comme il l’aurait fait avec un matelas. Il faillit basculer quand ils
heurtèrent l’éboulis, mais, en serrant ses cuisses contre sa victime, il
parvint à rester face à lui. Les roches déchiquetaient le dos du moine dont les
hurlements résonnaient dans sa tête sans s’interrompre. Leurs fronts se
heurtèrent et il sentit le sang couler de son nez.
Les genoux de Guilhem heurtèrent des cailloux,
mais son gambison matelassé amortit les impacts. Il prit alors conscience que le
moine avait cessé de crier. Leur allure se ralentit puis ils s’arrêtèrent. La
chute était terminée.
Immédiatement, Guilhem se releva, ignorant la
masse de chair sanguinolente qui l’avait protégé. Il chercha immédiatement des
yeux Sanceline et l’aperçut, pas très loin. Brisée, morte.
Il s’approcha d’elle. Curieusement, elle n’avait
pas de sang, sans doute la cotte de mailles l’avait-elle protégée des griffures
et des chocs les plus violents. Le camail lui couvrait encore la tête. Il se
baissa et la prit dans ses bras avant de jeter un regard en haut de la falaise.
Il vit la tête des deux autres moines qui le
regardaient, horrifiés, puis celle des gens de Brasselas. Il ne leur faudrait
que quelques instants pour qu’ils se ressaisissent et lui lancent un carreau
d’arbalète, se dit-il.
À quelques toises s’étendait la forêt. Il chargea
Sanceline sur son épaule et partit en courant.
Avec un sifflement, un vireton se planta juste à
l’endroit où il se trouvait l’instant précédent.
Guilhem avait maintenant disparu dans le gouffre,
mais Sanceline ne pouvait détacher son regard du sombre trou. Le pressentiment
était toujours là, qui lui
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