Montségur et l'enigme cathare
une fois de plus. Mais en 1880, on croyait encore à
cette Dame blanche, comme le rappelle Louis Fédié, patient historien du comté
de Razès et du diocèse d’Alet : « La Dame blanche, ce souvenir
toujours vivant de l’époque gallo-celtique, personnification de prêtresses du
culte druidique qui se livraient, il y a deux mille ans, aux mystères de leur
rite sauvage, est toujours vivante dans la contrée. La Dame blanche du château
de Puilaurens apparaît à certaines époques, pendant les nuits d’hiver qu’éclaire
la lune à l’état de croissant, et parcourt, traînant après elle ses voiles de
fantôme, les ruines si imposantes des tours et des remparts de l’ancienne forteresse. »
Nous sommes ici dans les Pyrénées, en face des Corbières. Les
Dames blanches, c’est bien connu, hantent toutes les vallées des Pyrénées, jusque
sur le versant atlantique. On en a même vu une, un jour, à Lourdes, dans la
grotte de Massabielle. Ces Dames blanches n’hésiteront même pas d’ailleurs à
passer dans les Corbières, notamment dans le comté de Razès, où on les verra de
nombreuses fois. Certes, l’image de la Velléda de Chateaubriand encombre un peu
trop les mémoires, car historiquement parlant, il n’y a aucune preuve qu’il y
ait eu des druidesses. Par contre, les fées sont d’origine celtique, gallo-celtique
comme dirait Louis Fédié. Il est vrai qu’en 1880, on ne parle pas tellement des
Cathares dans cette région : par contre, on est en pleine époque de
celtomanie. On repère partout des monuments druidiques qui datent d’au moins
deux mille ans avant le druidisme. On prétend que la langue bretonne est la
plus ancienne langue du monde et qu’elle était parlée au paradis terrestre. On
prétend que Jésus n’était pas juif, puisqu’il était galiléen, donc « gaulois ».
Ces détails, concernant l’état d’esprit de la région de
Puilaurens, de Montségur et du comté de Razès, à la fin du XIX e siècle, ne sont pas gratuits. Ils constituent
une réalité qui va compter, dans les décennies qui suivront, dans la
redécouverte du catharisme. On verra ressurgir d’étranges traditions concernant
Jésus et Marie-Madeleine – une Dame blanche, elle aussi – à propos du Razès. On
associera curieusement les Cathares aux Templiers gardiens du Graal et aux
héritiers des anciens druides, ces victimes de la répression catholique romaine.
Et, dans l’ombre, à cette même époque, un certain abbé Boudet, qui sera curé de
Rennes-les-Bains, prépare un ouvrage sur la « véritable langue gauloise »,
ouvrage aussi farfelu que fascinant, mais qui n’est assurément pas né du hasard.
IV
LA HAUTE VALLÉE DE L’ARIÈGE
Dans notre esprit, le pays cathare, c’est l’Occitanie. Ce n’est
pas vrai : le catharisme n’a concerné que des régions bien précises du
midi de la France, et l’on oublie d’ailleurs que l’hérésie s’est également
manifestée sporadiquement dans le nord, notamment en Champagne, sans parler de
l’Italie du nord qui semble être la zone où elle est apparue pour la première
fois. Il faut aussi rappeler que les contemporains n’appelaient pas les
hérétiques des cathares : cela, c’est le nom que certains d’entre eux se
donnaient parfois. Ils étaient connus sous le nom théologique de « dualistes »,
sous le nom vulgaire de « patarins », terme qui, de toute évidence, provient
d’une déformation de cathare, et d’une façon générale, surtout à partir de 1209,
sous le nom générique d’Albigeois. Est-ce à dire que le centre même de l’hérésie
était la ville d’Albi et ses environs immédiats ?
Certainement pas : les Cathares n’étaient pas plus
nombreux à Albi que dans les autres cités du Languedoc. Il semble même qu’Albi
ait été beaucoup moins touchée par l’hérésie que les autres villes, et ses
habitants ont été très nombreux à s’enrôler dans les milices qui participaient
à la lutte armée contre les hérétiques. Il est possible que le nom recouvre le
souvenir d’un incident caractéristique : au début du XII e siècle, l’évêque d’Albi, Sicard, avait essayé
de faire brûler des hérétiques, mais la population, respectueuse de la liberté
d’opinion, les avait délivrés. On peut également y voir le souvenir des discussions
théologiques qui eurent lieu en 1176 à Albi même entre l’archevêque de Narbonne
et des hérétiques, discussions qui furent surtout
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