Montségur et l'enigme cathare
« secrets ». Ailleurs, à Quéribus comme dans
les autres repaires des dualistes, il y a eu des survivants, des gens qui
avaient pour mission de sauver le catharisme et de le maintenir. Il fallait
bien qu’ils pussent reconstituer une vague Église cathare. Le problème est de
savoir où se sont réfugiés ces derniers « bons hommes », et comment certains
d’entre eux ont pu narguer l’Inquisition et vaincre l’indifférence qui gagnait
la population occitane à leur égard.
Entre 1150 et 1240, époque ultime du développement de l’hérésie,
les Cathares avaient dû se doter d’une solide organisation en quelque sorte
ecclésiale. Cela n’était guère conforme à leurs traditions ni à leurs buts, puisque
le catharisme excluait toute référence au sacerdoce et à la hiérarchie, mais
devant la répression, ils s’étaient vus obligés de constituer une contre-Église.
C’est ainsi qu’il y eut des diocèses, avec un évêque à la tête de chacun. À vrai
dire, ces diocèses ne sont que des territoires et l’évêque n’est qu’un Parfait
parmi d’autres, mais que l’on a choisi parce qu’on juge qu’il est le plus
capable de maintenir la doctrine et de la répandre.
D’après toutes les sources dont on dispose, on peut admettre
l’existence de sept évêchés cathares en Italie, et de sept autres en France. Il
y a un immense diocèse dans le nord de la France, dont le siège était
probablement en Champagne, et les six autres se trouvent en Occitanie, ce qui
prouve l’implantation restreinte de l’hérésie. Ces six diocèses sont ceux d’Albi,
de Toulouse, de Carcassonne, de Comminges, du Razès et d’Agen : ils recouvrent,
on le voit, approximativement les domaines du comte de Toulouse.
Mais après 1244, il devient difficile de maintenir cette
organisation. Tout se désagrège pendant la répression, et le catharisme, devenu
totalement clandestin, doit se concentrer en des endroits écartés, telle la
haute vallée de l’Ariège, autour de Tarascon. Une grande quantité de Parfaits
et de Croyants abandonnent l’Occitanie, fuyant la terreur dominicaine, vers la
Lombardie où ils espèrent se fondre dans l’anonymat de ses villes et de leurs
faubourgs. D’autres restent et constituent ce qu’il faut bien appeler la
dernière Église cathare, une sorte de diocèse du Sabarthès, puisque c’est le
nom du pays situé autour de la haute vallée de l’Ariège.
Pourquoi le Sabarthès ? D’abord, parce que c’est un
endroit peu fréquenté, à l’abri sous les hauteurs des Pyrénées, qui ne sont pas
infranchissables à ceux qui en connaissent les chemins secrets, et protégé
également par le massif du Tabe. D’autre part, cela n’est pas loin de Montségur,
et il est vraisemblable que le trésor de Montségur, si trésor il y a eu, a été
caché dans l’une des nombreuses grottes de la région. En tout cas, il est à peu
près certain que, dans la seconde moitié du XIII e siècle,
le Sabarthès a constitué un lieu de refuge pour les derniers Cathares. Et c’est
là que l’évêque Pierre Authier, revenu de Lombardie, a exercé, à la fin du
siècle, et pendant une dizaine d’années, une véritable mission apostolique en
déjouant tous les pièges des Inquisiteurs. Ceux-ci tentèrent par tous les
moyens de s’en emparer, et ils soudoyèrent un Croyant pour que celui-ci leur
livrât Pierre Authier. Mais le traître fut démasqué à temps, et précipité dans
un gouffre par les autres Croyants.
Pierre Authier semble avoir organisé le diocèse du Sabarthès
d’une façon particulière. Sa doctrine ne paraît pas avoir été entièrement la
même que celle du début du siècle : il est vrai que Pierre Authier avait
subi les influences des Cathares italiens, et que, de toute façon, la pensée
dualiste, qui n’a jamais été fixée, avait également évolué en une cinquantaine
d’années. C’est en tout cas à cette époque qu’on voit apparaître la fameuse pratique
de l’ endura , qui a provoqué d’innombrables
commentaires et aussi d’innombrables légendes. Il s’agit en fait d’une sorte de
suicide mystique consistant à se laisser mourir de faim ou de froid, et à y
réfléchir, ce n’est, tout compte fait, qu’une forme religieuse de la pratique
profane observée chez les Esquimaux.
Mais, en 1320, Pierre Authier, ses parents et ses amis sont
faits prisonniers à la suite d’un habile coup de filet. Ils sont brûlés. Ainsi
finit le
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