Montségur et l'enigme cathare
la
civilisation latine et la civilisation celtique, un creuset où sont en train de
se développer les germes d’une autre civilisation qui eût pu submerger l’Europe
occidentale si elle n’avait pas été cassée, brisée, détruite, systématiquement
et consciemment, par le pouvoir royal capétien et les seigneurs du Nord, avec
la complicité de l’Église romaine, et sous couvert d’une croisade pour défendre
la vraie foi.
L’Occitanie n’est pas un bloc monolithique, bien au
contraire. Les nombreuses seigneuries qui sont plus ou moins vassales de la
Maison de Toulouse ne le sont que d’une façon très élastique : la
vassalité dépend de la bonne volonté de chacun. À l’intérieur même de leurs
domaines, les grands feudataires sont payés de retour par leurs vassaux, pour
la plupart possesseurs de forteresses imprenables, et qui n’en faisaient
pratiquement qu’à leur tête. Les rapports entre les seigneurs étaient avant
tout des rapports d’hommes à hommes, et n’étaient pas régis par des règles
hiérarchiques dictées par un centre absolu, comme sur le modèle romain. Au
contraire, la société occitane apparaît nettement de type horizontal, comme c’était
le cas dans les sociétés celtiques primitives [2] . Et, bien que l’urbanisation,
phénomène méditerranéen par excellence, et non pas celtique, soit parvenue à un
très haut degré, la vie réelle a toutes les marques d’une sorte de fédération
de bonnes volontés dans un esprit à tendances démocratiques.
Les villes du Midi étaient alors très peuplées et très
riches. Toulouse était la troisième ville d’Europe après Venise et Rome. Ces
villes avaient gardé le sens de l’indépendance et de la liberté, et l’on voyait
s’établir les premières « bastides », administrées par les habitants
eux-mêmes, qui allaient contribuer à un bouleversement socio-économique. Des
consuls ou des « capitouls », élus par les habitants, les
gouvernaient démocratiquement et finissaient par imposer leurs volontés aux
seigneurs. Et s’il existait des classes sociales – la société reposait sur
cette structure – il n’y avait pas de cloisonnement étanche entre celles-ci, puisque
le serf pouvait être facilement émancipé et devenir bourgeois, et le fils de
celui-ci pouvait espérer entrer un jour dans la chevalerie. Dans ce milieu composite,
on prend l’habitude de se côtoyer, de se connaître, et l’on manifeste plus de
compréhension envers ceux qui pensent différemment. Il ne s’agit certes pas de
tolérance, mais d’un effort considérable pour essayer de vivre ensemble.
Toutes ces conditions favorisent les échanges tant commerciaux
que culturels. La littérature occitane en témoigne, qui est le résultat d’une
synthèse entre différentes traditions. Et c’est à Toulouse qu’au moment de la
révolte des étudiants et des professeurs de l’Université de Paris, en 1229, à
la suite d’une maladresse de Blanche de Castille, on verra affluer les plus
brillants intellectuels de l’époque, attirés par l’esprit de liberté qui règne
sur les études universitaires. Tout cela ne peut que favoriser dans cette
région le développement de la religion dualiste, qui avait le mérite de poser
des problèmes fondamentaux, même si elle avait bien du mal à essayer de les
résoudre. En tous cas, cela explique l’implantation du catharisme.
Après 1244, c’est-à-dire après la reddition de Montségur, ce
catharisme devint encore plus secret qu’il n’était auparavant. Certes, l’Inquisition
avait porté un coup fatal à son développement. Mais les religions ont la vie
dure et on ne les supprime pas définitivement par de nouvelles lois ou par des
autodafés : une religion persécutée se réfugie dans la clandestinité, perpétue
le souvenir de ses martyrs, maintient sa doctrine et parfois la modifie en l’adaptant
à des circonstances qui peuvent être nouvelles, quitte, par la suite, à
disparaître faute de recrutement et d’enseignement véritable. C’est ce qui s’est
passé pour le druidisme tout au long du Bas Empire : il s’est éteint de sa
belle mort ou a été absorbé par le christianisme naissant. C’est ce qui va se
passer pour le catharisme. Mais il mettra au moins un siècle pour disparaître.
On sait que les assiégés de Montségur ont pu faire sortir
leur trésor, et que la nuit précédant la reddition, quatre Parfaits se sont
évadés, en emportant des
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