Montségur et l'enigme cathare
pourrait être le radical germanique burg , désignant la forteresse (équivalent du duno celtique), mais ce radical n’est jamais employé
anciennement en Occitanie. Il est plus vraisemblable qu’il s’agit d’un mot
provenant d’un terme ethnique ayant donné entre autres, au cours du Moyen Âge, les
mots bulgari , bugares , burgars , bougres ,
ainsi que le français moderne bulgare . Les
chroniques du VIII e siècle font état des
démêlés entre les Francs, les Avars et les Bulgares. Et en 1201, un religieux
de l’abbaye Saint-Marien d’Auxerre signale une « hérésie qu’on appelle
bulgare » et des « hérétiques appelés Bulgares ». En 1207, le
même religieux écrit que « l’hérésie des Bulgares a pris de l’expansion ».
Il ne peut y avoir aucun doute sur ces hérétiques bulgares : ce sont les
Cathares qui, la preuve en est maintenant certaine, sont les successeurs des
hérétiques Bogomiles, lesquels sont originaires de Bulgarie et ont transité par
Byzance avant de se répandre en Europe occidentale.
Ainsi Bugarach pourrait très bien porter le souvenir d’une
primitive implantation de « Bougres » (le terme est resté, avec une
nuance péjorative) dans le Razès. C’est une explication logique et qui a toutes
les chances d’être la bonne. De plus, il semble y avoir un rapport entre
Bugarach et Montségur, et Fernand Niel formule là-dessus une hypothèse
séduisante. Il suppose en effet que les constructeurs – ou les reconstructeurs
– du Montségur cathare, donc vers 1200, auraient aligné consciemment la
forteresse sur la position moyenne du lever du soleil. Or « cette
direction ouest-est tombe sur le Pech de Bugarach, point culminant des
Corbières dont, non seulement l’altitude, 1 231 m, est très voisine de
celle de Montségur, mais encore la latitude, 42° 52’, est égale à celle de
ce site… À mesure qu’ils serraient de près leur direction ouest-est, ils
voyaient se profiler le sommet de Bugarach au bout de leur alignement. Ainsi
sollicités, ils auraient définitivement adopté ce repère offert par la nature » [15] .
Si l’on accepte cette hypothèse et si l’on se réfère à la probable
étymologie du nom, le pech de Bugarach serait une sorte de double de Montségur.
À moins que ce ne soit le contraire : mais de toute façon, il y a une
relation évidente et privilégiée entre les deux sommets comme il en existe une
entre les Bougres et les Cathares. À ce
moment-là, ce n’est plus une hypothèse, mais une certitude : on peut très
bien affirmer que Bugarach – la montagne et le village – a joué un rôle
prépondérant dans l’implantation du catharisme non seulement dans le Razès, mais
encore dans toute l’Occitane. Si Bugarach est antérieur à Montségur, peut-être,
nouvelle hypothèse, faut-il y voir un sanctuaire central, une sorte d’ omphallos primitif autour duquel se serait
développée l’hérésie. Il ne s’agit donc pas de cachette secrète pour un
éventuel « Trésor » des Cathares, mais d’une montagne sacrée, analogue
au fameux Mont Mérou, un véritable pôle autour duquel tourne l’univers dualiste,
un peu comme, en Irlande, autour de la colline sacrée de Tara, se sont
constituées non seulement les grandes options religieuses, druidiques d’abord, chrétiennes
ensuite, mais encore les structures de la société gaélique et sa répartition en
multiples royaumes renvoyant leur spécificité sur le centre idéal absolu.
Une œuvre étrange, une œuvre romanesque très peu connue d’un
auteur pourtant connu mondialement, peut nous aider à comprendre ce rôle d’ omphallos qu’a pu jouer le site de Bugarach. Il s’agit
d’un roman de Jules Verne intitulé Clovis Dardentor .
Jules Verne, Breton de Nantes, en dehors de son talent littéraire incontestable
et de sa brillante imagination, était un passionné de sciences parallèles ou
secrètes. Cela apparaît constamment dans tous ses ouvrages, même dans les plus « faciles »,
les plus populaires, et c’est au deuxième degré dans des romans plus « alambiqués »
comme Vingt mille lieues sous les mers , qui
est un périple initiatique à la façon des célèbres « navigations » de
la tradition irlandaise, L’Île mystérieuse , qui
se réfère au mythe de l’île d’Avalon, ou Les Indes
noires , dont l’inspiration maçonnique n’est plus à démontrer. Jules
Verne était lui-même un des « enfants de la Veuve », ou un
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