Montségur et l'enigme cathare
est
certes bien difficile de démêler, dans les récits mythologiques, qui nous sont
parvenus la plupart du temps sous une forme littéraire, donc élaborée, savante,
codifiée, et peut-être altérée, ce qui est ancien de ce qui est récent. Quand
on parle de mythologie grecque, par exemple, s’agit-il de la mythologie de l’époque
hellénistique ou de celle de la période archaïque ? Même dans Hésiode, qui
est pourtant le premier en date à avoir « mis en scène » les rapports
des dieux entre eux et des dieux et des hommes, mais qui est aussi déjà l’héritier
d’une longue tradition, le doute est permis quant aux structures mêmes des
mythes représentés. À vrai dire, il s’agit d’une interprétation du mythe et non
du mythe lui-même. Est-ce à dire que le mythe est incompréhensible ? Assurément,
puisqu’il constitue une entité abstraite qui a besoin, pour être transmis, d’une
matérialisation sous forme d’événements historiques. C’est ainsi qu’apparaissent,
dans tous les récits mythologiques, des conflits, des guerres inexpiables, des
crimes, des catastrophes qu’on ne peut pas prendre à la lettre, mais qui sont
autant de points de repères d’une démarche intellectuelle.
Dans cette mythologie grecque, du moins dans celle qui nous
est connue par Hésiode, on découvre les traces d’un dualisme primitif dans l’opposition
qui se fait jour entre Khronos et Zeus. Le fils, Zeus, se révolte contre le
père, Khronos. Il prend la place du père et châtre celui-ci, la castration
étant l’équivalent symbolique de la mort. Mais le conflit existait à l’état
latent en Khronos lui-même : le thème du père qui donne la vie à ses
enfants et qui les dévore lorsqu’ils sont nés est déjà suffisamment ambigu par
lui-même. Et c’est lui qui pose le véritable problème.
En effet, Khronos a deux attitudes contradictoires, même si
le récit prétend que c’est à cause d’une prédiction selon laquelle il serait
détrôné par l’un de ses enfants, qu’il les avale, c’est-à-dire qu’il les refoule en lui-même, dans son inconscient. Il peut
donc être celui qui donne la vie et celui qui donne la mort, et cela existe en
dehors même de sa volonté consciente : c’est une loi beaucoup plus secrète,
la moins exprimable qui soit, qui fournit son sens à cette attitude paradoxale,
d’où l’apparition de la notion de Nécessité, de Destin, auquel sont soumis les
dieux comme les hommes. Khronos n’est donc pas tout-puissant, puisque des
forces contradictoires agissent en lui. Est-ce à dire que le personnage du dieu
primordial (Khronos, dans la théogonie, n’est pas le dieu primordial, mais il
en tient le rôle) contient à la fois la vie et la mort ? On serait tenté
de le croire.
En tout cas, c’est beaucoup plus sur cet aspect ambivalent
de Khronos qu’est construite l’opposition, que sur la guerre des Olympiens
contre les Titans révoltés ou contre les Géants qui montent à l’assaut de l’Olympe.
Cette guerre n’est qu’un des effets de la dualité de Khronos, répartie héréditairement sur ses descendants ou par nature sur les
êtres qui lui sont consubstantiels (Khronos est lui-même un Titan). Il en sera
de même dans la mythologie germanique, selon les textes tardifs mais archaïsants
révélés par les Islandais : la lutte entre les dieux Ases et les dieux
Vanes n’est que le résultat d’un conflit qui met en valeur les contradictions
internes de la divinité, contradictions qui seront ensuite réactualisées par la
rivalité sournoise et presque inconsciente entre Odhin-Wotan et l’énigmatique
Loki, ce qu’a d’ailleurs magnifiquement senti Wagner dans sa Tétralogie . Et bien que la mythologie celtique ne
comporte pas, à proprement parler, de théogonie, on y découvre également des
guerres entre deux factions rivales de dieux, ne serait-ce que celles qui
opposent, dans l’épopée irlandaise, les Tuatha Dé Danann aux Fir Bolg, deux
envahisseurs successifs de l’île d’Irlande.
En réalité, ces luttes impressionnantes ne sont que des manifestations
très secondaires. La mythologie grecque ne rend plus compte – parce que des
éléments ont dû se perdre – du conflit véritable qui oppose les deux forces
antagonistes. Par contre, on le reconnaît de façon précise dans les épopées
mythologiques des Germains et des Celtes, épopées moins littéraires, moins
savantes peut-être, et plus proches d’une
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