Montségur et l'enigme cathare
doctrine cathare. À y réfléchir, le suicide serait plutôt un
empêchement au processus de purification qui passe par la pénitence et la
souffrance endurée dans le monde. Mais ce qui demeure un peu mystérieux, c’est
la pratique de l’ endura .
Cette pratique n’est pas ancienne et concerne uniquement les
derniers Cathares, ceux du XIV e siècle. Grâce
aux registres de l’Inquisition, on sait que des hérétiques, principalement des
femmes, se mirent en endura , c’est-à-dire en
état de jeûne prolongé, au point d’en mourir. Ce jeûne leur aurait été ordonné
par le diacre de leur communauté. Le fait semble historiquement prouvé, et l’on
a d’autres exemples à propos de Cathares qui seraient allés dans la montagne, en
plein hiver, se laisser mourir de faim et surtout de froid. Mais cette pratique
est limitée dans le temps, seulement le début du XIV e siècle,
et dans l’espace, ne concernant que la région d’Ussat-les-Bains et la haute
vallée de l’Ariège. On n’en connaît aucun exemple ailleurs, et en tout cas
jamais aux époques antérieures, lorsque le Catharisme était fortement organisé.
Sans doute faut-il voir dans cette endura une
manifestation ultime et désespérée de la foi cathare, à une époque où ce
catharisme était devenu une cause perdue d’avance. Cela n’a pas empêché
certains contemporains, qui se prétendent les Cathares du XX e siècle, de mettre en valeur l’ endura comme un rite authentique, de la prôner même,
et d’en faire un des éléments les plus importants de la doctrine. Il faut
rappeler que le fameux Otto Rahn, auteur du livre sur la Croisade contre le Graal , incontestable nazi
mystérieusement disparu en 1939, a été crédité d’avoir accompli l’ endura sur les montagnes de la frontière
austro-allemande [20] . L’aspect sacré de ce
suicide, bien connu et pratiqué chez les Esquimaux par les vieillards devenus
inutiles à la tribu, a alimenté bien des légendes…
Cela montre en tout cas qu’aux environs de l’an 1300, le catharisme
était en voie d’extinction et que chaque groupe de ceux qui avaient échappé à l’Inquisition,
se comportait de façon autonome. Il n’y avait plus de cohésion entre les
Cathares dispersés. Pourtant, cette cohésion, cette unité, pourrait-on dire, fut
grande à la fin du XII e et au début du XIII e siècle. Ces Cathares ont constitué des diocèses.
À l’intérieur de chaque diocèse, en dehors de la grande masse des Croyants, il
y avait les Parfaits, les « Élus », ceux qui se prétendaient les
seuls « Cathares », c’est-à-dire les « Purs ». Mais parmi
ces Parfaits, certains portèrent le titre de diacres, et étaient
vraisemblablement chargés de missions spéciales, en particulier de prédications
auprès de populations à convertir, ou auprès de Croyants à fortifier dans leur
foi. Le mot « diacre » ne doit pas faire illusion : les Cathares
rejetaient toute hiérarchie sacerdotale, et même l’idée du sacerdoce. C’est
seulement au contact des Chrétiens orthodoxes, pour s’opposer à eux plus
efficacement, qu’ils empruntèrent un vague système hiérarchique à l’Église, afin
de coordonner leurs efforts et d’organiser leur défense en face de la répression.
Normalement, ce sont les Croyants et les Parfaits réunis en
une assemblée unique qui choisissaient ceux à qui l’on devait confier des
responsabilités. Certains Cathares vivaient isolés, en véritables ermites :
ceux-là ne participaient pas à la vie communautaire. D’autres étaient donc
établis diacres et vivaient généralement dans
les villes. C’est parmi eux que se recrutaient les prédicateurs, les sages, les
théologiens. Ils étaient en quelque sorte les guides spirituels d’une communauté.
Mais l’assemblée des Parfaits se charge aussi de l’élection d’un chef
responsable d’un diocèse. On lui donne le nom d’ évêque ,
mais c’est une appellation commode, sans plus. D’ailleurs, si l’évêque ne donne
pas satisfaction dans la fonction qu’il occupe, l’assemblée peut le révoquer et
en choisir un autre à sa place. Cet évêque est au service de toute la
communauté cathare, à l’exclusion de toutes prérogatives sacerdotales. Il n’est
que le premier parmi ses semblables, et de façon provisoire, selon les
circonstances. Et il est choisi en quelque sorte démocratiquement. L’évêque
pouvait être assisté de deux coadjuteurs, un « fils
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