Morgennes
Mais il nous faut ce chevalier, c-c-comment s’appelle-t-il déjà ? Celui qui avait réglé son compte à un d-d-dragon, pour mon cou-cou-couronnement ?
— Saint Georges ? demanda Gilbert d’Assailly, en craignant le pire.
— Mais non ! Vous me p-p-prenez pour un idiot ? tempêta Amaury. Je vous p-p-parle de ce ménestrel, celui qui jouait le rôle de saint Georges…
— Ah ! Oui, je vois, dit Keu de Chènevière. Un bien étrange chevalier, en vérité. Mais je ne sais plus comment il s’appelait. Mort… quelque chose… Morbien ? Mordhom ?
— Il s’appelait « Morgennes », fit le jeune frère Alexis de Beaujeu. Et il n’était pas chevalier.
— Ah non ? s’enquit Amaury. Il faudra corriger cela… Un homme qui n’a pas peur de s’attaquer à un d-d-dragon, il faut l’adouber sur-le-champ !
Dans la grande salle, personne ne dit rien. Comme souvent, on ne savait jamais, avec Amaury, s’il jouait à l’imbécile ou s’il testait les siens.
— Quoi qu’il en soit, poursuivit Gilbert d’Assailly, les dragons sont justement au cœur de nos problèmes. Et il faut se féliciter de l’arrivée de Son Excellence l’ambassadeur extraordinaire, juste au moment où nos frères du Krak ont fait cette stupéfiante découverte…
— Bien, bien, fit Amaury d’un air songeur. Je crois qu’il est grand t-t-temps de faire un exposé de la situation à notre nouvel ami.
— Si Sa Majesté le permet, je puis m’en charger, proposa Gilbert d’Assailly.
— Faites donc !
— Voici : nous ne pourrons plus tenir longtemps Jérusalem si nous ne nous emparons pas de l’Égypte. Depuis bientôt deux ans, Nur al-Din ne cesse de multiplier les attaques contre les flancs orientaux du Liban. Déjà, à la bataille de Harim, il nous a infligé une défaite mémorable et a fait prisonnier le comte de Tripoli.
— Qui nous manque, coupa Amaury.
— Absolument ! s’exclamèrent en chœur tous les Hospitaliers présents dans la salle, avec d’autant plus de vigueur et de sincérité qu’Amaury remplaçait Raymond de Tripoli pendant sa captivité.
— N’insistez pas trop tout de même, fit Amaury. J’ai compris.
— Bref, poursuivit Gilbert d’Assailly, la situation est plus que complexe ; d’autant que nous ne savons pas encore si les pourparlers menés par Guillaume à Constantinople ont porté leurs fruits.
— Ils les p-p-porteront, soyez-en certains, dit Amaury. Je connais Guillaume mieux que personne. Et ce qu’il entreprend est toujours cou-cou-couronné de succès…
— Plus récemment, continua Gilbert d’Assailly, l’âme damnée de Nur al-Din – l’infâme général Chirkouh – s’en est pris à l’Outre-Jourdain, où il a détruit une place forte que les Templiers avaient construite dans une grotte, juste au sud d’Amman. L’étau se resserre… Il nous faut agir, et vite. Nous ne pouvons pas rester ici les bras croisés à attendre de savoir si Sa Majesté l’empereur de Constantinople daignera ou non nous accorder son aide, et quelle forme prendra celle-ci…
— Vous savez, p-p-pourtant, l’interrompit Amaury, que nous manquons de t-t-troupes. Attaquer l’Égypte en ce moment, c’est dégarnir le comté de T-t-tripoli et le nord du royaume. Et c’est tendre une magnifique p-p-perche à Nur al-Din.
— Vous avez besoin de renforts, dit l’ambassadeur du prêtre Jean.
— Évidemment, dit Amaury. Et nous n’arrêtons p-p-pas d’en chercher, de tous les côtés. J’ai même écrit t-t-trois fois au roi de France, et je n’ai pas reçu une seule réponse ! Pas une maille, pas l’ombre d’un petit soldat. Rien. Niente ! P-p-peau de zob, comme disent les Arabes ! s’exclama-t-il en faisant claquer son pouce dans sa bouche.
— Je connais bien l’Égypte, expliqua l’ambassadeur du prêtre Jean. Le royaume est un fruit mûr qui ne demande qu’à tomber, pourvu qu’on sache par où et comment le cueillir. Vous devriez vous y rendre et y établir un protectorat. Je suis sûr que Chawar, le vizir du calife, saura vous accueillir avec tous les égards dus à votre rang. Vous pouvez compter sur lui. Et en faire le nouveau calife d’Égypte !
— La dernière fois, j’ai failli y p-p-perdre la vie et celle de tous mes hommes, rappela Amaury. Si cette C-c-ompagnie du Dragon blanc n’était pas venue pour nous sauver, ce serait un affreux croissant d’or qui brillerait au sommet des mosquées de Jérusalem, au lieu des
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