Morgennes
magnifiques c-c-croix que nous y avons fait poser…
— Attendre les Grecs, signala Gilbert d’Assailly, c’est s’exposer à devoir partager avec eux… Et se compromettre avec les rivaux de Rome. Ils ont déjà repris en leur possession l’église d’Antioche. Vous ne voudriez pas non plus, Majesté, que ce soit à Constantinople que se décide qui devra être élu à la tête des églises de Tripoli, de Jérusalem, d’Acre ou de Tyr ?
— Non, non, bien sûr, dit Amaury. Mais les Grecs sont p-p-puissants, ils sont riches… Qu’est-ce que deux ans ? Ah, si seulement vous acceptiez, dit-il en se tournant vers Palamède, de nous prêter t-t-trois millions de besants ! En gage de votre bonne foi, cela va sans dire…
— Majesté, ce me semble un peu prématuré…
— Majesté, coupa Gilbert d’Assailly, si mon plan n’a pas l’heur de vous plaire, je crois qu’il est grand temps que je quitte ma charge de commandeur des Hospitaliers, et que j’aille terminer mes jours dans l’un ou l’autre de nos monastères, en Angleterre, où je suis né.
Amaury eut un geste, comme pour dire : « Faites ce qui vous chante, peu me chaut. » Ce qui déclencha la colère d’un certain nombre de nobles présents dans la salle, et notamment celle du plus puissant d’entre eux : le baron d’Ibelin.
— J’affirme, Majesté, intervint-il avec véhémence, qu’il faut profiter des informations détenues par monsieur l’ambassadeur extraordinaire, et attaquer sans plus attendre !
— Dis donc, toi, dit Amaury au baron d’Ibelin, qui es-tu pour me p-p-parler sur ce ton ? Dois-je te rappeler qui t’a fait b-b-baron ?
— Et toi, Majesté, malgré tout le respect que je te dois, dois-je te rappeler qui t’a fait roi ? fit d’Ibelin en se tournant vers l’ensemble des pairs du royaume.
Un silence pesant s’installa au milieu de la grande salle, à peine troublé par les mâchouillements des chiens en train de ronger leurs os.
— Ce qu’il faudrait, dit l’ambassadeur pour faire descendre la tension d’un cran, c’est un casus belli…
— Comme quoi, p-p-par exemple ? demanda Amaury.
— Le non-paiement des sommes promises…
— Déjà fait.
— Attaquez, poursuivit l’ambassadeur. Autrement ce sera votre pire ennemi, Nur al-Din, qui le fera à votre place. Attaquez, et je vous promets que vous recevrez l’aide d’une dizaine de dragons, et d’un millier d’Amazones.
Les chevaliers, nobles et Hospitaliers échangèrent des regards effarés. Seul Amaury conserva son calme.
— Des d-d-dragons… Comme celui que les Hospitaliers ont découvert ?
— Comment cela ? demanda l’ambassadeur.
Quelques instants plus tard, les deux hommes se trouvaient, en compagnie de l’état-major des Hospitaliers, des pairs du royaume et d’une dizaine de soldats, sur les contreforts du Djebel al-Teladj, où était bâti le Krak des Chevaliers. Dans la poussière se dessinaient les contours d’os énormes, sur lesquels les bassets d’Amaury se ruèrent en jappant comme des fous. Et tandis qu’ils mordaient ces prodigieux ossements, que des gardes entouraient afin d’en indiquer les proportions à l’ambassadeur du prêtre Jean, Amaury demanda à ce dernier :
— Vous parliez de d-d-dragons, comme celui-ci ?
En effet, sous leurs yeux surgissait la silhouette d’un immense dragon, d’une longueur de plusieurs lances. Les épaules, le cou, les pattes et la gueule se distinguaient nettement, et des ouvriers travaillaient à dégager les autres parties de la bête – dont il ne restait que les os, vieux de plusieurs milliers d’années, et quelques globes couleur terre, de la taille de gros œufs, qui se trouvaient dans son ventre.
L’ambassadeur du prêtre Jean ouvrit de grands yeux, stupéfait de ce qu’il voyait. Si stupéfait, en vérité, qu’il n’arrivait plus à trouver ses mots. Cette fois, ce fut Amaury qui rompit le silence, en lui désignant ses deux bassets. L’un s’acharnait à vouloir arracher de la montagne un tibia aussi grand qu’un homme, tandis que l’autre compissait l’un des œufs fossilisés.
— Vous savez ce qui serait b-b-bien ? demanda Amaury à l’ambassadeur.
— Non.
— Un sifflet comme le vôtre, mais pour appeler mes ch-ch-chiens.
34.
« C’est peut-être un fantôme qui s’est mêlé à nous. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Cligès. )
« Chose promise, chose ardue », ai-je coutume de dire.
Adonc, Morgennes,
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