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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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il t’a dit d’aller vers la croix. Car c’est ce que j’ai fait… Je suppliai mes parents de changer de religion et de se convertir au christianisme, par amour pour moi. Je leur demandai de choisir entre Dieu et moi. Mon père m’adorait, et ma mère aussi – mais elle se vivait avant tout comme juive, et n’envisageait pas sans trembler de tous ses membres de ne pas le rester, jusqu’à la fin. Ce couple, que j’avais vu uni, s’aimant, se sépara à cause de moi. D’une certaine façon, le jour où mon père m’emmena dans une église pour se faire baptiser avec moi, ce jour-là nous avons tué ma mère.
    Car quand nous en ressortîmes, chrétiens l’un et l’autre, un cri déchira la maison, et l’on vint apprendre à mon père : « Votre femme est morte… »
    Eh bien, j’étais maudit. Et chrétien. Ma colère et ma peine étaient telles que je décidai de l’être jusqu’au bout. Je jetai mon ancien nom aux orties, et pris celui-ci : « Chrétien ». Le pire, c’est que j’étais soulagé. Ma mère était morte, car elle n’avait pas vu (ou voulu voir) mon père renier sa foi et celle de ses ancêtres. Mieux, elle ne m’avait pas vu, moi, abdiquer ses entrailles… Mieux encore, le peu de « juif » qui me restait venait de s’en aller, parti pour toujours avec elle.
    Mon père et moi quittâmes la Broce-aux-Juifs, où il pratiquait le métier de rebouteux. Ah, je vois ton œil briller d’un nouvel éclat. Oui, mon père était rebouteux… Et pas n’importe lequel. Le meilleur d’entre eux ! Je puis le dire, car il mit autant de hargne et de ténacité à exceller dans son métier que j’en avais mis, moi, à changer de religion. Il savait tout du corps humain, de ses humeurs, des fils invisibles qui le relient aux étoiles et à Dieu. Je prétends même que ce qu’il ignorait de la médecine aurait à peine empli un dé à coudre.
    Et dire que je mettais cela sur le compte de sa conversion, et de la mort de ma mère.
    J’étais trop jeune pour comprendre. Car si je suis plus âgé que toi, je ne le suis pas de beaucoup. Ce fut un soir d’hiver, peu avant de mourir, qu’il me parla.
    J’avais décidé d’entrer dans les ordres, afin d’être un parfait chrétien, et de conter des aventures montrant des gens et des routes se croisant. (Tu sais ce dont je parle.) Mon père m’appela à son chevet, et ses doigts fouillèrent sous sa chemise – exactement comme tu le fais, toi, quand tu recherches la croix de bronze de ton père, ou comme je le fais en ce moment, pour te montrer ceci…
    Je sortis de sous ma chemise cette pierre étrange, mélange de noir et de blanc entrelacés, où l’on croyait voir un dessin de dragon.
    — C’est une draconite.
    Morgennes posa la main dessus, et ressentit un choc violent. Instantanément, il retira la main, comme brûlé. Ce qu’il avait vu… Des images lui avaient traversé l’esprit. Des images représentant des choses indescriptibles par des mots humains, perçues par une créature qui n’avait, elle non plus, rien d’humain. Des images que sa mémoire ne put enregistrer, et qui s’effilochèrent, comme des graines de pissenlit au vent d’été.
    — Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
    — À vrai dire, je ne sais pas trop. Son nom est : « draconite ». Ton père, qui avait fait un long voyage en Orient, à la recherche d’épices et de plantes à donner à ta mère, l’a rapportée de son périple. Certains disent que c’est une pierre tombée du ciel. D’autres prétendent qu’il s’agit d’un œil de dragon. Toujours est-il qu’elle symbolise la vie et la mort, un bien pour un mal, un mal pour un bien, l’équilibre des extrêmes.
    Morgennes ne quittait pas la pierre des yeux. Ses contours paraissaient ondoyer, comme sous l’effet d’un puissant feu.
    — Pourquoi ne puis-je pas la prendre ? demanda Morgennes.
    — Parce qu’elle ne peut être prise. Elle ne peut qu’être donnée. Un homme la donna, pour une raison que j’ignore, à ton père, qui la donna à mon père, qui me la donna… Et je te la donne, fis-je en déposant la pierre dans les mains entrouvertes de Morgennes.
    Cette fois-ci, il ne ressentit rien de particulier. La pierre s’était comme endormie. À la façon d’un petit animal, elle faisait la sieste dans le creux de la main de Morgennes, qui la retourna, d’un côté puis de l’autre, et fut surpris de la voir présenter, invariablement, toujours la même

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