Morgennes
en échange du Saint Bois…
Dans la cour, une forme courut vers une porte, l’ouvrit et entra précipitamment dans la pièce où elle donnait. Amaury fit mine de ne pas l’avoir vue. Ce devait être une femme, une des rares domestiques admises au service des Hospitaliers. Or Amaury avait donné l’ordre, comme à Jérusalem :
— Pas de f-f-femme sur ma route !
Certes, il avait très envie d’une nouvelle épouse, mais il faudrait que celle-ci soit exceptionnelle. Et puis, Amaury n’avait pas du tout, mais alors pas du tout, envie de rendre la tâche plus facile à ses barons… Son célibat lui fournissait une bonne excuse pour leur casser les pieds.
Quand il entra dans la grande salle du Krak, où une collation venait d’être servie à la dizaine d’Hospitaliers présents, Amaury constata que l’ambiance était morose. Après avoir déposé ses deux bassets sur la paille, pour qu’ils aillent manger en compagnie des frères punis pour de petits méfaits, il lâcha un rot tonitruant, se racla la gorge et cracha par terre.
— Voilà qui va mieux ! fit-il avec un large sourire en direction de l’ambassadeur extraordinaire.
Celui-ci était de sexe indéterminé – car un masque de cuir noir dissimulait sa figure, ne laissant voir que deux yeux noirs qui n’étaient pas sans rappeler ceux des serpents. Un fouet terminé par des pointes barbelées était suspendu à son ceinturon, et ses chaussures portaient d’impressionnants éperons, longs d’une dizaine de pouces, prolongés par une gueule de dragon. Une épaisse cape de cuir noir, pouvant se fermer par-devant, pendait froissée à ses épaules, comme après un long voyage.
— Avez-vous fait b-b-bonne route, monsieur l’ambassadeur extraordinaire ? Ou dois-je dire madame l’ambassadrice extraordinaire ? s’enquit Amaury.
— Monsieur, précisa l’ambassadeur avec une légère révérence. Voici mes lettres de créance.
Il claqua des talons, et plongea sa main gantée de cuir dans une gibecière accrochée à sa cuisse. Il en retira un fin rouleau de parchemin, clos par un sceau. Amaury l’examina, admira le travail représentant l’œil au milieu de la pyramide, et demanda – tout en brisant le sceau :
— Vous venez de loin, si j’ai bien compris.
— Affirmatif, dit l’ambassadeur. De par-delà les monts Caspiens. Je suis parti hier.
— Hier ? Cela me paraît c-c-court, pour un si long trajet.
— C’est que, Majesté, je voyage à dos de dragon. Comme tous les diplomates et les coursiers de l’empereur.
— À dos de dragon ? Hum, cela doit être pratique pour transporter les bagages… Et votre d-d-dragon, où l’avez-vous laissé ? À l’écurie ?
— Négatif, Majesté ! Il aurait dévoré tous vos chevaux – ce qui aurait été une mauvaise entrée en matière. Je lui ai permis de repartir vers les cieux, qui sont sa seule et unique demeure.
— Et comment le rappellerez-vous, quand vous voudrez repartir ?
— Grâce à ceci, Majesté.
L’ambassadeur du prêtre Jean montra à Amaury une chaîne au bout de laquelle était suspendu un sifflet en argent figurant un dragon.
— Il me suffît de souffler dedans, et mon dragon arrive…
— Comme c’est ingénieux, fit Amaury.
Mais il n’écoutait déjà plus. Et tandis qu’il étudiait d’un œil distrait les lettres de créance de l’ambassadeur, il lui demanda :
— Messire P-p-palamède, êtes-vous versé d’une quelconque façon dans la science des rêves ?
— Puis-je demander à Sa Majesté pourquoi cette question ?
— C’est que, voyez-vous, j’ai fait cette nuit un épouvantable cauchemar, dit Amaury en insistant bien sur « cauchemar » et en regardant son chambellan droit dans les yeux.
— Ce sera un honneur d’aider Sa Majesté, si je le peux…
Amaury raconta son rêve, et conclut en disant :
— Quel d-d-dommage que mon cher Guillaume ne soit pas encore rentré de Constantinople ! Lui, au moins, aurait su décrypter mon rêve. Il est très fort en onirologie, et ce n’est là qu’un des nombreux d-d-domaines dans lesquels il excelle !
— Majesté, si je puis me permettre, ces serpents…
— Oui ? demanda Amaury, intéressé.
— Ce sont des dragons…
— Je le savais ! s’écria Amaury en tapant du poing sur la table, ce qui fit sursauter tout le monde. Alors, il nous faut…
— Je peux vous aider, les dragons sont chose commune en notre royaume.
— Oui, oui, bien sûr.
Weitere Kostenlose Bücher