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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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dis-je.
    — Comment ?
    — Tu es juif, toi aussi… Mon père me l’a dit. Ce que j’ai vu à Arras en était la preuve. Je n’ai pas voulu t’en parler, Pour ne pas te traumatiser ni briser tes rêves, mais tu es juif. Jamais les chevaliers ne t’accepteront. Et encore moins les Templiers ou les Hospitaliers.
    — Et ça ? fit Morgennes en brandissant sa croix de bronze sous mon nez.
    — Ça ? C’est à ton père, que je sache. Mais on est juif par la mère, Morgennes. Or ta mère était juive. Désolé…
    — Juif ?
    — Comprends-tu, désormais, pourquoi des Templiers massacrèrent ta famille, juste avant de partir se croiser ? Parce que vous étiez juifs, et que pour eux, c’était toujours ça de pris. Mais bon sang de bois, combien de temps cela va-t-il durer ? N’y a-t-il pas, quelque part, un endroit où nous pourrions vivre en paix ? Note que je ne demande même pas à vivre « heureux », mais « en paix », tout simplement. Et si cet endroit n’existe pas, n’y a-t-il pas un moment ? Juste une heure, un an de répit. Une petite année ? Oserais-je demander « une vie » ?
    Je partis dans un profond sanglot, dont les hoquets secouaient mon corps sans que je pusse rien dire. Alors, ainsi qu’il l’avait fait dans les montagnes, Morgennes me prit dans ses bras.
    Il comprenait mieux, maintenant. S’il était juif, il était normal que sa mère n’ait pas voulu de croix sur la tombe de l’enfant mort. Ce n’était pas seulement pour oublier. S’il était juif, il était normal que son père lui ait dit d’aller « vers la croix ». Parce que là, dans son ombre, on le laisserait en paix.
    À moins qu’il n’ait tenté de lui désigner son adversaire ? Ceux qui portent la croix. Les Templiers ? Les gardiens de la Vraie Croix ? Lui fallait-il chercher de ce côté pour trouver les meurtriers de son père et de sa sœur ? Morgennes rassembla ses esprits. La miséricorde de son père était une piste. Une première piste qu’il n’avait pas suivie à l’époque, parce qu’il était trop tôt. Mais il se sentait prêt, maintenant. Ce vieux Templier, quel était son nom déjà ? Il n’avait pas un poil sur le caillou. Galet le Chauve ! Et son comparse, Dodin le Sauvage… Foi jurée, il retrouverait chacun des cinq chevaliers qui s’en étaient pris à ses parents. À l’époque, seul l’un d’eux était templier… Cela avait, apparemment, changé.
    Ensuite, restaient une myriade de questions auxquelles seule sa mère avait peut-être une réponse. Elle aussi, il lui faudrait la retrouver. Se pouvait-il qu’elle ait suivi l’un ou l’autre de ces chevaliers en Terre sainte ?
    Morgennes me jeta le regard que j’attendais et craignais de voir depuis si longtemps.
    Nos routes se séparaient.
    À tout jamais ?
    Qui pouvait le dire ?
    Il m’étreignit contre lui, comme un frère, et me dit :
    — Adieu.

35.
    « Mais maintenant il serait bon de savoir dans quelle direction nous devons nous diriger.
    — Ami, je ne peux pas le deviner, si l’aventure ne nous conduit pas. »
    (CHRÉTIEN DE TROYES, Guillaume d’Angleterre .)
    « Moi, Philippe, médecin personnel et ambassadeur extraordinaire de Sa Sainteté le pape Alexandre III, parti de Bénévent voici huit mois pour un périple insensé, je suis en train de perdre la raison.
    C’est pourquoi – saint Grégoire me pardonne ! – je dois coucher ici ce que j’ai vu, de mes yeux vu. Et consigner sans plus attendre les surprenants événements auxquels j’ai personnellement assisté. Non pas pour vous convaincre qu’ils se sont réellement produits – je sais que c’est une tâche impossible, qui dépasse, et de loin, mes maigres talents d’écrivain – mais pour que je puisse encore y croire, moi, quand dans quelques années ma mémoire aura perdu le souvenir de toutes ces choses et que je voudrai revenir vers elles, et l’homme que j’ai été.
    Il est doux, en effet, de penser que l’individu que je suis aujourd’hui prend soin dès à présent de celui que je serai demain – et qu’il essaie d’en atténuer les possibles souffrances et de prendre sur lui un peu de son futur fardeau, tant qu’il en a encore la force.
    Je sais que tout ce dont je vais vous entretenir ici va vous paraître extraordinaire. Tout comme je sais que cela me paraîtra bien incroyable, à moi aussi, quand je me relirai.
    Cela s’est pourtant produit.
    Tout commença lorsque Sa Sainteté le pape, que

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