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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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yeux vers mon œuf et vis qu’il disait vrai.
    Cela peut paraître anodin. Ça ne l’est pas. C’est même extrêmement grave. Un œuf sans vitellus, c’est comme un homme sans âme : une hérésie ! Il faut l’éradiquer. Vite !
    Grosseteste se souleva de son siège et meugla :
    — Par saint Vaast ! Saaaacrilège !
    La foule, d’abord interdite, joignit bientôt ses cris à ceux de Béroul :
    — Excommunication ! Excommunication !
    —  Pœnitentia ! lança à son tour Gautier d’Arras.
    J’étais pétrifié de peur. Mes quatre autres œufs s’étaient écrasés par terre à la suite du premier, pour se révéler on ne peut plus normaux, et pourtant la foule continuait à hurler de plus belle.
    — Il faut les juger, sa poule et lui !
    — Au bûcher !
    — Sur le gril !
    — À la coque !
    — Tribunal ! Tribunal ! tentait de tempérer Grosseteste.
    Il faisait de grands gestes avec les bras, tandis qu’autour de lui, dans la loge principale, Marie et Henri de Champagne commençaient à partir, alors que Thierry d’Alsace avait déjà disparu.
    Il fallait réagir, et rapidement. Mais j’étais incapable de bouger. Alors Morgennes fonça dans ma direction, Galline sous le coude. Écartant la foule avec les bras, donnant ici et là coups de tête et d’épaule, distribuant force claques à qui en réclamait, il se rua vers la scène et m’enleva telle une princesse sur le bûcher. M’ayant soulevé du sol, il me serra contre lui et bondit de l’autre côté de la scène. De là, il fila en direction de la synagogue, puis vers un coin du cimetière où il y avait moins de monde, et courut, courut, la ville entière sur les talons.
    Voyant cela, il allongea la foulée, et disparut à l’horizon.

II

LE CHEVALIER À LA POULE

10.
    « Quand charrette verras et rencontreras, signe-toi et souviens-toi de Dieu, de peur qu’il ne t’arrive malheur. »
    ( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Lancelot ou le Chevalier à la Charrette. )
    Alors qu’il rejoignait la grand-route qui menait à Beauvais, en espérant qu’aucun soldat ne les y attendrait, Morgennes entendit un vacarme derrière lui. Un raffut de chariot mené par des bœufs. Il se retourna, et son champ de vision tout entier fut occupé par le spectacle d’un homme qui tenait plus de la montagne que de l’être humain. Le conducteur de l’attelage, car c’était lui, devait certainement compter parmi ses ancêtres un ogre ou un géant tant il était grand et large. Son sourire, à lui seul, cachait tout l’horizon, et sa chevelure en bataille, blonde comme les blés, était un soleil qui ne se couchait jamais. Une épaisse moustache, également blonde, lui coulait de chaque côté du visage, soulignant un cou aussi épais qu’un chêne. Ses mains énormes tenaient chacune une paire de rênes, avec lesquelles il dirigeait ses bœufs, huit bêtes superbes au front orné de gigantesques cornes et aux sabots de la largeur d’un roc.
    S’ajoutant à l’étrangeté de cet équipage tout droit sorti d’un autre monde, un petit singe à la mine bouffonne, vêtu d’une culotte orange et d’un court veston bleu, se tenait sur l’épaule du charretier et lui soufflait des conseils à l’oreille.
    Morgennes, qui me portait toujours sur ses épaules, ralentit le pas pour se laisser doubler. C’est alors qu’une fente s’ouvrit au milieu de la toile séparant le conducteur de l’intérieur de son chariot, laissant passer une frêle main de jeune femme – celle-là même que Morgennes avait aperçue à Arras, peu avant de s’enfuir.
    La main nous faisant signe de monter, Morgennes se hissa auprès du géant puis pénétra dans le chariot.
    Et ce qu’il vit alors le stupéfia : la main n’appartenait pas à une femme, mais à un magnifique adolescent.
    Ses traits délicats et fins, son teint pâle, sa mine parfaite, signalaient quelqu’un de haute naissance. Ses yeux en amande, ourlés de cils un peu trop longs, un peu trop noirs, finissaient d’accentuer sa part féminine. Au demeurant, puisqu’il n’avait ni moustache ni barbe, ni même de poils au menton, on aurait pu le prendre pour une demoiselle. Mais sa dégaine impassible, où se lisait un brin de morgue, et ses vêtements étaient bien ceux d’un homme. Ses jambes, nonchalamment croisées sur un épais coussin arborant losanges et carreaux de couleur, se terminaient par une paire de souliers à la poulaine, dont l’extrémité allongée en pointe s’enroulait

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