Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
Vom Netzwerk:
annoncer le nom du vainqueur. Après s’être raclé la gorge, le Maître des Ardents déclara :
    — Nous ne remercions pas les muses. Car elles ont si bellement inspiré nos auteurs que nous en sommes venus aux mains lorsqu’il s’est agi de savoir quelle tête couronner…
    — La mienne ! murmurai-je.
    — Chut ! fit quelqu’un.
    — C’est pourquoi, poursuivit le Maître des Ardents, j’appelle Chrétien de Troyes et Béroul à me rejoindre sur cette estrade, afin de nous présenter le numéro de jonglage qui permettra de les départager.
    Sans me faire voir de personne, je mis un œuf dans ma bouche, et montai vers la scène – où Béroul m’attendait, bras croisés, sourire aux lèvres.
    — Arrageois, Arrageoises, reprit le Maître des Ardents, je vous demande d’applaudir ces poètes ! Ils vont vous démontrer dans un instant qu’ils ne savent pas jongler qu’avec les mots !
    Nouveau tonnerre d’applaudissements, émaillés par ces cris : « Chrétien ! Béroul ! Chrétieeen ! Bérouuul ! »
    — Voulez-vous prendre la parole, avant de commencer ?
    De la tête, je fis signe que non. Béroul quant à lui courut sur l’avant-scène, d’où il envoya force baisers de la main au public, en criant :
    — Arras, je t’aime !
    Vivats, bravos, sifflets ! Dans la tribune du jury, cette déclaration sembla porter ses fruits. Marie de Champagne remua son éventail et s’approcha de son mari, pour lui susurrer quelque chose. Le comte de Champagne, dont le goût pour les tournois et la chose militaire était légendaire, devait pencher pour moi – mais Marie, qui n’aimait rien tant que les belles histoires d’amour, me préférait sûrement Béroul. Les mots qu’elle avait glissés à l’oreille de son mari avaient certainement pour but de le faire changer d’avis… Quant au comte de Flandre, Thierry d’Alsace, impossible de savoir les pensées qui l’animaient tant sa mine était sombre. Grosseteste fulminait, furieux que le jury ait écarté si facilement l’ Éracle de Gautier d’Arras.
    J’ouvris le bal en sortant de ma poche un des œufs de Galline, ce qui était pour moi une façon de rendre hommage à Marie de Champagne. Après avoir lancé mon œuf en l’air, j’en sortis un deuxième, puis un troisième et un quatrième, que j’envoyai les uns après les autres rejoindre le premier.
    Pour l’instant, il n’y avait rien d’extraordinaire. C’était un bon numéro – sans plus, j’en conviens. Mais l’intérêt n’était pas là.
    Pour commencer, je m’amusai à les faire s’entrecroiser, à les rattraper par-dessous la jambe et à me retourner brusquement tout en émettant avec la bouche quelques caquètements… Puis brusquement, comme pris d’une convulsion, je levai un bras – et une pluie de plumes rousses me coula le long du corps. Je me pliai alors en deux, et une crête bourgeonna sur mon dos. Enfin, j’enfouis la tête au creux de mon épaule, pour la ressortir avec un bec à la place du nez !
    Bref, je me changeais en poule.
    Le spectacle, qui au début avait paru banal aux Arrageois, fut bientôt jugé formidable. Et ce n’était pas fini ! Mes pieds griffèrent les planches, se transformèrent en pattes de poulet et arrachèrent à la scène une myriade d’asticots que j’entrepris de picorer sans cesser de jongler.
    Le public poussait des « Cot ! Cot ! Codée ! » et autres « Cocorico ! » frénétiques. Tous cherchaient à m’imiter.
    Le clou du spectacle, on s’en doute, devait être la ponte d’un œuf. Déjà, ma métamorphose était si complète que l’on ne voyait plus ma peau – juste un manteau de plumes. Des convulsions m’agitaient dans tous les sens, et ma bouche en cul de poule commençait à enfler, enfler, tant et si bien qu’un œuf finit par en sortir, sous les yeux médusés des spectateurs.
    Je jonglais à présent avec cinq œufs, et je l’aurais emporté si le destin n’en avait décidé autrement.
    Au rythme des « Cot ! Cot ! Chrétien ! Cot ! Cot ! Chrétien ! » scandés par la foule, j’entamai un étonnant numéro de jonglerie, envoyant mes œufs jusqu’au firmament. Et c’est alors que l’incroyable se produisit. Le scandaleux. Le stupéfiant.
    J’en ratai un.
    Qui s’écrasa par terre, entre mes pattes.
    Tout s’arrêta. C’était fini. J’avais perdu.
    Les choses auraient pu en rester là, mais Béroul cria :
    — Cet œuf n’a pas de jaune !
    Je baissai les

Weitere Kostenlose Bücher