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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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avant lui, Baudouin III avait échoué. Il était mort à trente-deux ans sans descendance, peut-être empoisonné par un de ses médecins. Aussi est-ce très logiquement qu’Amaury, son frère cadet, comte de Jaffa et d’Ascalon, avait été désigné pour lui succéder – et poursuivre les folles ambitions de leur père.
    Son couronnement devait avoir lieu huit jours après l’enterrement de son frère, c’est-à-dire ce 18 février 1162. Jérusalem n’était pas en deuil. Elle couronnait son roi.
    Amaury avait voulu donner à la cérémonie l’aspect d’un enterrement. Pourquoi ? Parce qu’il ne se sentait pas d’humeur à se réjouir, et que les circonstances dans lesquelles il avait été reconnu, par ses pairs, digne d’être couronné, n’avaient pas été exemptes de vexations à son égard.
    Ainsi, les puissants du royaume n’avaient accepté d’être ses vassaux qu’à la condition qu’il renonçât à sa femme, Agnès de Courtenay : « Sire, lui avaient-ils dit, nous savons que vous devez être roi, nonobstant nous n’accepterons en aucune manière que vous portiez la couronne tant que vous ne vous serez pas séparé de cette femme que vous avez. Car elle n’est pas telle que doit être une reine, particulièrement la reine d’une aussi haute cité que Jérusalem. »
    Pourquoi cette requête ? En fait, les raisons de cette inimitié restaient obscures. Le prétexte invoqué (celui de la consanguinité, les grands-parents d’Agnès et d’Amaury étant cousins germains) n’était pas des plus sérieux. En effet, dans ce pays, le manque de sang franc obligeait la plupart des nobles à se marier entre eux. En fait, ce qui avait surtout pesé dans la balance, c’était le comportement frivole et les mœurs légères d’Agnès de Courtenay. Elle et elle seule était visée, pas le roi ni sa descendance. Et, bien que les barons exigeassent qu’elle n’approchât pas du trône, ils acceptaient que son fils, le jeune Baudouin IV (alors âgé d’un an), puisse y monter un jour.
    Mais Agnès, jamais.
    — À trop commercer avec le diable, on y perd son âme ! disait l’un des barons, qui la soupçonnait de tracer des pentacles et d’égorger des chatons dans sa chambre.
    — Son con n’est pas fermé de cuisses, c’est une auberge ouverte à tous les vents ! disait un autre, trop heureux d’y avoir un jour pénétré, sans pour autant s’en vanter.
    Bref, pour une femme détestée par tous, il y avait un homme que tous aimaient : son mari, Amaury. Du reste, Amaury avait bon cœur, et s’il avait épousé Agnès, c’était notamment parce que nul, hormis lui, ne voulait le faire. « Cette femme est de sang b-b-bleu, disait-il en bégayant comme à son habitude, et il serait injuste qu’elle n’ait pas de mari, quand b-b-bien même serait-elle la f-f-fille d’un démon… » Amaury faisait allusion à Jocelyn d’Édesse – qui avait la réputation d’être un brigand et de n’avoir pour unique souci que lui-même.
    Pour montrer à ses futurs vassaux de quelle sorte de bois il se chauffait, Amaury leur avait annoncé :
    — Fort b-b-bien ! Puisque vous voulez un roi sans f-f-femme, un roi sans f-f-femme vous aurez… Je n’aurai d’autre souci que la g-g-guerre ! En outre, nul n’aura plus le droit de se p-p-présenter devant moi accompagné d’une f-f-femme tant que je ne me serai p-p-pas remarié !
    Les barons avaient beaucoup maugréé, mais le roi avait le sang si chaud qu’ils s’étaient dit que ce serait bien le diable si Amaury ne se remariait pas avant la fin de l’année ! Alors, ils avaient accepté.
    Notre arrivée tomba à pic. L’un des plus proches conseillers du roi, un certain chanoine prénommé Guillaume, alors en poste à Acre, lui suggéra en nous voyant :
    — Sire, vous devriez demander à ces trouvères de vous organiser un spectacle. Cela vous changerait les idées, et permettrait à vos barons de rire un peu. Ce dont ils ont bien besoin !
    — Spectacle ? avait rétorqué Amaury en postillonnant. Rire ? B-b-besoin ? Et puis quoi encore ?
    Amaury se baissa, prit dans ses bras ses deux bassets adorés, les pressa sur sa lourde poitrine ornée de seins si gros qu’ils semblaient ceux d’une femme, et ajouta à l’intention de Guillaume :
    — Tu ne voudrais quand même p-p-pas que je leur serve la soupe ! Je ne suis pas là p-p-pour les faire rire, mais pour être leur chef et les mener à la

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