Morgennes
des sons. Je le pourrais, mais je n’en ferai rien. À peine vous dirai-je que si Godefroy de Bouillon avait mis près de quatre mois pour atteindre Constantinople avec son armée, nous fîmes le trajet en deux fois moins de temps.
De notre voyage jusqu’à Jérusalem, je ne dirai rien de plus.
Pourquoi ?
Parce qu’un seul mot suffit pour vous le conter en entier. Philomène !
13.
« Mort ! Mort, tu es trop mauvaise et avide, trop cupide et envieuse ! Tu es insatiable ! »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Cligès. )
Saint-Lazare de Béthanie était un monastère situé au sommet du mont Thabor, non loin du château de la Fève – qui appartenait aux Templiers. Ils en étaient d’ailleurs si proches, que c’étaient eux, et non les Hospitaliers (dont dépendait pourtant le monastère), qui en assuraient la sécurité.
Les herses du château de la Fève se hissaient un bref instant, puis une poignée de chevaliers quittait ses murs, suivie par quelques hommes en armes. Ils n’étaient pas nombreux. Cependant, ils suffisaient. Car ils étaient forts et courageux.
C’est pourquoi, lorsque le Dragon blanc parut à l’horizon, du côté du couchant, deux frères chevaliers prirent la tête d’une petite escouade, et galopèrent à sa rencontre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Morgennes en les voyant approcher.
— Des serviteurs de Dieu, répliqua Gargano.
— C’est-à-dire ?
— Des Templiers !
Morgennes fouilla sous sa chemise, à la recherche de sa croix.
— Père, dit-il. Tu m’as dit d’aller vers la croix… Je vois venir deux « chevaliers » à la poitrine ornée d’une grande croix rouge. Est-ce vers eux que tu veux que j’aille ? Veux-tu que moi aussi je sois comme eux, un chevalier portant grande croix rouge ?
Évidemment, personne ne répondit.
— Regarde, poursuivit Morgennes en m’indiquant les cavaliers. Je crois que c’est à eux que mon père faisait allusion en me disant d’aller vers la croix. Ce sont des chevaliers de Dieu.
— Les chevaliers ne servent jamais qu’eux-mêmes, dis-je.
— Pas ici, dit Gargano. Pas toujours. N’oubliez pas que nous sommes en Terre sainte, et que c’est une terre d’exception.
Les Templiers se trouvant à portée de voix, l’un d’eux nous lança :
— Au nom de Dieu, présentez-vous !
Thierry d’Alsace sortit alors du chariot en costume d’apparat. Sa tunique, rehaussée de pierres précieuses, reflétait les rayons du couchant et brillait de mille feux. Il leva une main gantée de soie noire, et dit d’une voix aussi ferme que possible :
— Amis ! Beaux doux sires chevaliers, m’avez-vous oublié ?
— Ton nom ! lança celui des deux Templiers qui n’avait pas encore parlé.
— Thierry d’Alsace, comte de Flandre.
Les Templiers baissèrent leur lance, dont le gonfanon alla se perdre dans la poussière.
— Peut-on savoir où vous allez, en si étrange équipage ?
— Auprès de mon amour…
Ce disant, il désigna le monastère de Béthanie.
— Par la Vierge ! s’exclama le plus jeune des Templiers.
— Ferme ton bec ! lui lança l’autre. Venez, messire, nous allons vous escorter jusqu’aux portes du monastère, où bon accueil vous sera fait… et bien triste nouvelle donnée.
— Que voulez-vous dire ? demanda Thierry d’Alsace, inquiet.
Le Templier le regarda tristement, secoua la tête et murmura :
— Il ne m’appartient pas de vous l’apprendre…
*
— Sœur Sibylle a été rappelée par Dieu, nous annonça la mère supérieure du couvent de Béthanie.
— Quand ? Comment ?
— La semaine dernière, dans son sommeil… Elle n’a pas souffert, dit-elle au comte de Flandre, effondré.
Puis la colère remplaça l’abattement, et éclata comme un orage.
— Dieu l’a tuée ! Il a préféré la rappeler au Ciel plutôt que de me voir la reconquérir !
Je n’osai pas lui dire que si j’avais écrit quelques poèmes, ceux-ci n’auraient peut-être rien donné. En tout cas, ils n’avaient pas convaincu Philomène de m’aimer…
Puis le comte changea une nouvelle fois d’attitude. Plus une trace de colère en lui, rien qu’un grand épuisement.
— C’est ma faute, dit-il. Jamais je n’aurais dû me lancer dans une telle aventure…
Des larmes plein les yeux, de nouvelles rides au front, il se tourna vers nous :
— Pardon de vous avoir entraînés là, mes bons amis. Pardon, pardon. Et toi Dieu, pardonne-moi aussi ! Et toi
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