Morgennes
d’être adoubé chevalier. Plus tard !
— Mais pourquoi moi ? demanda Morgennes.
— J’ai mes raisons. Mettons que tu me rappelles quelqu’un…
— Qui ?
— Un ami.
— Et s’il accepte ? l’interrompis-je. Quel en sera le prix ?
— Il faudra qu’il me serve, sa vie durant.
— Sa vie durant ? C’est tout ?
— Croix de bois, croix de feu.
— J’accepte, dit Morgennes.
— Très bien. Tu commences tout de suite. Mais sache que si tu ne tiens pas ta parole, tu ne m’échapperas pas. Où que tu ailles, je te retrouverai et te ferai payer…
— Je ne suis pas un traître, ni un lâche, dit Morgennes.
— Et moi ? demandai-je. Vous m’oubliez ?
— Certainement pas. J’ai cru comprendre que tu t’intéressais aux livres. J’ai ici plus de mille rouleaux contenant des recettes de plats venus des quatre coins du monde. Cela te plairait-il de les consulter ?
— Des recettes de cuisine ? Ma foi, j’aurais aimé quelque chose de plus consistant, mais pourquoi pas.
— Alors, va !
Et d’un geste on ne peut plus théâtral, il me désigna une porte, derrière laquelle des étagères entières débordaient de parchemins.
— Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes ici ? demanda Morgennes à Coloman.
— Il y en a une, mais une seule, que tu rencontreras peut-être en temps utile. Quant aux autres, elles ont perdu le droit de pénétrer ici.
— Pourquoi ?
— Au premier temps de cette académie, les femmes étaient admises. Mais, bien vite, nous nous sommes aperçus qu’elles étaient trop cruelles. Trop souvent elles infligeaient à leur victime une sanction bien plus terrible que celle qui avait été commandée. Quand il s’agissait de blesser, elles tuaient. Et pour un exemple, elles en faisaient dix. Non, en vérité, leur place n’est pas ici. Jamais elles ne feront de bonnes mercenaires. Elles ont trop de mal à obéir aux ordres.
— En quoi consiste l’entraînement ? demanda Morgennes. Par quoi vais-je commencer ? L’équitation ? La joute ? L’escrime ?
— D’abord, tu vas faire la vaisselle.
Il lui montra alors une montagne de vaisselle sale, qui montait jusqu’au plafond.
— Ce sont les plats qui t’ont été servis, dit Coloman.
— Très bien, fit Morgennes en déglutissant.
— Quand tu auras terminé, demande au maître coq quelle est ta tâche suivante. Nous nous reverrons dans trois mois.
— Si tard ?
— Finis déjà ta vaisselle…
21.
« Personne ne peut faire bien ce qu’il n’a pas appris. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Perceval ou le Conte du Graal .)
Morgennes comprit rapidement que les bruits d’entraînement au combat qu’il avait entendus en arrivant au palais ne provenaient pas d’un quelconque gymnase – mais des cuisines.
Là, dans cette parodie de caserne, une véritable armée de mercenaires s’exerçait à la guerre, à recevoir et à exécuter les ordres, à travailler de concert, grattant, frottant, cuisant, chauffant, sans jamais regimber. Ceux qui abandonnaient n’étaient généralement pas beaucoup mieux traités que ceux qui cherchaient à s’enfuir. Ceux-ci étaient punis de mort ; ceux-là priés de s’excuser quand on les torturait.
Parfois, il y avait une course-poursuite effrénée dans les couloirs du palais, et c’était à qui rattraperait le fugitif en premier. Car à qui réussissait cette prouesse, Coloman accordait une récompense. Généralement, une nuit avec l’une de ses esclaves, ou une promotion.
Morgennes commença tout en bas de la hiérarchie, au poste de plongeur. Qu’importe, il en avait l’habitude. Car, en Terre sainte comme en Europe, qu’y avait-il de plus bas qu’un trouvère ? Un bateleur ? Un moine ayant perdu son froc ? Un juif, et encore !
Le premier combat de Morgennes s’appelait « Tas de vaisselle ». C’était un monstre haut d’une bonne cinquantaine de pieds, large de deux cents, et qu’on lui demanda d’attaquer par le sommet :
— Autrement, comprends-tu, tout risque de s’effondrer sur nos têtes !
Une échelle double posée sur une table reposant elle-même en équilibre – précaire, cela va sans dire – sur une autre table, permettait à Morgennes d’atteindre les plats situés le plus en hauteur. Et qui, pour son malheur, se révélèrent ne pas être les plus petits.
Je regardais mon ami depuis le sol, me demandant comment il allait faire pour que rien ne s’écroule.
Les premiers jours,
Weitere Kostenlose Bücher