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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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mot « faim ».
    — Ce sera difficile, parce que même si j’ai grand-faim, j’ai toujours plus de mémoire que d’appétit.
    — Fais-moi confiance.
    Son palais donnait sur les rives du Bosphore. Il avait été bâti dans une pierre rose qui changeait de couleur avec le jour. Ainsi, s’il brillait la nuit du même éclat qu’une perle au milieu d’un désert, le jour, il se parait de parme qui le faisait paraître plein de douceur – quand il était, en vérité, tout le contraire.
    Car l’intérieur du palais résonnait de cris, que d’innombrables couloirs et une incroyable quantité de portes bardées de métal ne parvenaient pas à étouffer. De quels cris s’agissait-il ? De tous ceux qui se peuvent imaginer. Cris de plaisir, lors des orgies auxquelles Coloman conviait des courtisanes qu’il jetait en pâture à ses mercenaires. Hurlements de douleur, quand les esclaves étaient fouettés jusqu’au sang pour avoir omis de sourire ou renversé un gobelet. Clameurs des soldats à l’exercice, claquement des fouets sur les armures ou la peau. Sanglots, gémissements, quand seule la mort par épuisement semblait au bout du pénible entraînement des recrues. Et surtout, surtout, choc du métal contre le métal, épées se fracassant sur un bouclier, masses contre un plastron ; flèches, lances, s’enfonçant dans le tissu, la chair ou le bois d’une cible.
    Nous étions chez Satan !
    — C’est le Diable en personne, soufflai-je à l’oreille de Morgennes. Ce type ne me dit rien de bon. Regarde-le, le cheveu noir, les lèvres peintes en rouge, les sourcils en broussaille, des poils lui sortant du dos, des canines en couteaux… Et ses oreilles ! Ne sont-elles pas pointues et effilées, comme celles des loups ? Et puis, n’est-ce pas étrange ? Il est toujours à rigoler, toujours de bonne humeur.
    — Tu crois que Dieu est triste ? demanda Morgennes.
    — Non, je n’ai pas dit ça. Mais j’ai peur.
    — Ne t’inquiète pas…
    Coloman poussa des deux mains une double porte massive, qui donnait sur une terrasse s’avançant au-dessus du Bosphore. Là, sur des tables en marbre, un fabuleux festin était servi à la lueur de torchères en or.
    — Bon appétit ! nous dit Coloman. Je suis désolé, je ne reste pas, j’ai à faire. Mais buvez, buvez, car comme on dit chez vous : « Longues beuvettes rompent le tonnoire ! »
    Et il nous laissa là, en compagnie de nombreuses esclaves à peine nubiles, et légèrement vêtues, qui s’activèrent de leur mieux pour nous servir. Ce fut alors une succession de veaux, vaches, bœufs, génisses, agneaux, brebis, servis à la broche ou en tranches épaisses comme le poing de Coloman ; de grasses truies et de petits cochons de lait, farcis aux olives et aux câpres ; de bosses de chameau, trempées dans l’huile de sésame ; suivies d’une forêt de champignons et de cailles, perdreaux, faisans, lapins, levreaux, porcs-épics, et de toute une venaison de cerfs, de biches, de chevreuils et de daims – sans oublier les sangliers. La viande ayant quitté la table, on nous offrit à boire divers alcools et digestifs, et un nouveau déluge de mets s’abattit sur nos panses et gosiers. Ce fut ensuite un océan de poissons – sardines, brèmes, bars, thons, merlus, mulets, anges (une sorte de requin, venue de France), raies, daurades – et de crustacés (je vous en épargne la liste), qu’on nous servit sans carapace, arêtes ni écailles, mais avec des algues en guise de salade. Je croyais que c’était fini, quand on nous apporta force cochonnailles, avec cette étonnante explication :
    — Pour vous aider à digérer.
    Il y avait parmi les saucisses, saucissons et andouillettes, un long boudin noir au goût assez fort, et qui était délicieux.
    — C’est excellent ! s’enthousiasma Morgennes.
    — Oui ! Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.
    — C’est la queue d’un taureau, mise à sécher au milieu des épices pendant trois jours et trois ans, puis enrobée de miel, me répondit une jeune esclave à la peau d’un joli cuivré et aux yeux d’un bleu envoûtant.
    Mais le repas n’était pas terminé. Car après la cochonnaille vinrent les pâtés, les terrines, les tourtes, les croustades, les friands, les bouchées, dont nous nous régalâmes plus que de raison.
    — Je ne savais pas que j’avais un si grand estomac, dit Morgennes.
    — Nous sommes, ajoutai-je, en train de violer au moins l’un des dix

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