Morgennes
haut des escaliers ?
— En haut.
Morgennes s’empara du petit plateau d’argent sur lequel était posée une délicate tasse en porcelaine de Chine, puis s’éloigna en direction du premier étage, et du grand escalier qu’il y avait aperçu le premier jour.
— Veux-tu que je t’accompagne ? lui proposai-je.
— Non merci, ce n’est pas la peine. Je n’en ai pas pour longtemps !
— Comme tu voudras.
Je repartis vers mes livres de cuisine, Galline sur les talons. La petite poule, à qui les gâte-sauces jetaient parfois une poignée de maïs, commençait à reprendre du poil de la bête. Ses plumes repoussaient, affichant une belle couleur rouge orangé qui lui donnait l’aspect d’une flamme échappée du foyer.
En haut de l’escalier en colimaçon qui menait des cuisines au rez-de-chaussée, Morgennes alla vers le grand escalier de marbre qui permettait d’accéder au premier étage. Naïvement, il avait cru que cet escalier desservait les deuxième, troisième et quatrième étages du palais, mais il n’en était rien. Chaque palier avait son propre escalier – et ils n’étaient pas aussi faciles à trouver que celui de l’entrée. Morgennes emprunta donc un nombre incalculable de couloirs, passa la tête par toutes sortes de portes, découvrit des salles immenses et aussi vides qu’apparemment inutiles, avant de dénicher l’escalier qui montait au deuxième étage. Il parcourut en long, en large et en travers, tout un dédale de couloirs et corridors, qui se croisaient, s’entrecroisaient, et parfois même, se terminaient en cul-de-sac.
— Diable, se disait-il. Il y a de quoi devenir fou ! Heureusement que j’ai de la mémoire, sinon…
Sinon, son sort aurait peut-être été semblable à celui-ci, dont il apercevait la dépouille, tenant encore son plateau à la main, mort d’épuisement à la croisée de quatre couloirs.
Cette fois, l’escalier se trouvait derrière ce qui ressemblait à une vulgaire porte de placard.
— Ne pas se fier aux apparences !
Le troisième étage était presque aussi désert que le précédent, si ce n’est qu’il y avait six morts au lieu d’un seul, dont un cloué contre une paroi, un pieu dans l’estomac.
— Il va falloir redoubler d’attention…
Craignant un piège, Morgennes rasa les murs, marcha sur la pointe des pieds, prenant garde à l’endroit où portait le poids de son corps, et tendit l’oreille – à l’affût du moindre bruit. Mais il eut beau parcourir cet étage en tous sens, plusieurs fois, et en ouvrir toutes les portes de placards, il n’y avait nulle trace d’escalier.
— Cela signifierait-il que je suis arrivé ?
Mais non, il n’y avait pas d’appartement à cet étage. Et pas de piège… Enfin, pas d’autre piège que celui dans lequel l’un des serviteurs était tombé.
— Un seul piège ? se demanda Morgennes. Un seul pieu ?
Retournant sur ses pas, il observa de plus près le mort au pieu dans la cage thoracique, et s’aperçut que celle-ci pouvait pivoter – révélant, derrière elle, une porte cachée. Et un petit escalier, qui montait.
— Ne pas respecter les morts ? se demanda Morgennes, qui ne voyait pas bien le sens de cette leçon.
Le quatrième étage du palais contenait un fabuleux jardin intérieur. Par endroits, la voûte était percée de verrières qui laissaient passer le jour et baignaient de lumière des arbres exotiques, des plantes d’un vert étrange et des fleurs odoriférantes. Des oiseaux bigarrés traçaient de minuscules arcs-en-ciel au-dessus de Morgennes, qui protégea d’une main la tasse qu’il portait – de crainte qu’ils n’y fassent leurs besoins.
Marchant sur un parterre mêlé d’herbes et de gravillons, Morgennes parcourut cet endroit en se laissant émerveiller, guider par sa beauté. Ah, le voici ! Cette fois, l’escalier était sculpté dans un tronc d’arbre, une sorte de saule pleureur. Il suffisait de poser le pied sur l’une de ses racines pour arriver à une série de branches qui menaient au sommet.
Du saule pleureur on passait à une immense terrasse à ciel ouvert, d’où partait un pont qui conduisait à une tour – apparemment un phare – dominant le Bosphore.
— À moins qu’il ne s’agisse d’un minaret ? se demanda Morgennes.
Mais non, c’était bien un phare, et Morgennes s’y dirigea consciencieusement, récitant pour lui-même l’objet de sa dernière leçon :
— Apprendre à se servir du
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