Mort d'une duchesse
Sigismondo, son maître, et il se
sentit plein de confiance en l’avenir.
Il se pelotonna au pied de la paillasse.
— Je n’ai jamais été à un banquet, dit-il.
— Profites-en. Demain nous serons sans doute très occupés.
— Que… fit Benno en s’interrompant aussitôt.
— Hum… hum. Tu fais bien… Je ne suis pas persuadé que
Bandini pourra rendre ta maîtresse à son père.
— Mais alors, qu’est-ce qu’il en a fait ? demanda Benno
qui, soudain inquiet, se redressa en faisant grincer les cordes du lit.
— Je ne suis pas persuadé qu’il lui ait fait quoi que ce
soit.
— Mais ses couleurs, Nardo les a bien vues, non ?
— Ses couleurs ? Comme celles que Di Torre a suspendues
à un clou dans sa maison ? Il se peut que nous devions chercher au-delà de
Bandini. Peut-être même en dehors de Rocca.
— En dehors ?
Les environs immédiats de la ville, voilà à peu près tout ce
que l’imagination de Benno pouvait embrasser.
Il connaissait la route jusqu’à la villa campagnarde de Jacopo
Di Torre, et quelques-uns des chemins alentour où Cosima avait permission de
chevaucher – contrairement à la ville où elle était confinée à la maison
–, mais il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il existait quelque
chose au-delà. Dame Cosima était très cultivée, elle lui avait parlé d’endroits
comme Rome ou la France, et ses explications les avaient situés pour lui quelque
part dans le ciel au-delà de la large vallée de Rocca.
— Le duc Francisco a quelque intérêt à semer le trouble.
— Je croyais que le duc se nommait Ludovico, remarqua
Benno.
Sigismondo émit un brusque fredonnement qui sonna comme un
éclat de rire.
— Notre duc Ludovico est duc de Rocca. Le monde entier
est composé d’États comme celui de Rocca. À l’est règne le duc Francisco. Son
duché est montagneux et il convoite les riches terres et le littoral de Rocca. Tout
comme les Bandini et les Di Torre, les ducs entretiennent des rivalités.
Un vaste et terrifiant horizon s’ouvrit devant Benno, un
monde de confusion, de distance et d’inconnu. Il prit une inspiration.
— Comment…
— Hum. Quoi ?
— Est-ce qu’il va loin ? s’enquit Benno d’un ton hésitant.
— Qui ça ?
— Le monde.
Il y eut un silence dans la pénombre. La voix de Sigismondo
s’éleva enfin.
— J’en ai visité une partie. C’est à peu près la même
chose partout : rochers, champs, collines, rivières, villes, fermes. J’ai
été dans des endroits où l’on parle d’autres langues – la Moscovie, la
Terre sainte, l’Hispanie, l’Angleterre, les Pays-Bas.
Benno soupira. Il distinguait la tête de Sigismondo appuyée
contre le mur, se découpant sur la forme carrée du coussin en cuir. Il avait
les yeux clos. Les odeurs de cuisine détournèrent l’attention de Benno qui, oubliant
ces étrangetés, se mit à rêver en toute simplicité au festin qui s’annonçait.
La soirée était froide. Même la duchesse, qui donnait ce
banquet en l’honneur de dame Cecilia, n’y pouvait rien ; des collines du
nord couvertes de neige accourait un vent à l’haleine glaciale venu observer
les préparatifs. Ses rafales activaient le feu de joie prévu pour brûler toute
la nuit dans la cour du palais, et des étincelles bondissaient vers les froides
étoiles ; tout autour de la cour s’alignaient les fenêtres et balcons d’où
les invités, avant le début des festivités, se penchaient pour admirer le feu
et lancer des sucreries à la foule rassemblée en bas. Chacun serrait qui une
fourrure, qui du velours autour de son cou.
Le vent était moins bienveillant à l’égard des mendiants qui,
massés à l’extérieur des murs, occupaient le moindre recoin abrité en attendant
avec patience de voir ce qui leur reviendrait une fois la fête terminée.
Quand le vent se faisait plus vif, il apportait avec lui le
son des tambours et des tambourins, ainsi que le brouhaha de ceux qui s’amusaient
à l’intérieur.
Tout comme il doit toujours y avoir des gens tenaillés par
la faim tandis que d’autres se gobergent, ainsi doit-il y en avoir qui triment
pendant que d’autres se prélassent dans l’oisiveté. Les cuisines brillaient de
tous leurs feux et résonnaient d’éclats de voix, la sueur gouttait dans les
plats tandis que les maîtres queux se penchaient pour apporter une dernière
touche aux mets, remettre en place le dernier fragment de feuille d’or
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