Mort d'une duchesse
qui ne
cessait de se décoller, bien déployer les plumes du paon à l’arrière du
volatile rôti de façon que, porté en pleine gloire sur son plat d’or, il déclenche
les applaudissements des convives. Lesquels seraient sans doute moins
enthousiastes en le mangeant, mais cela, ils s’y attendaient.
Déjà on avait enduit les brûlures de graisse d’oie, déjà les
marmitons avaient le derrière cuisant à cause des coups de pied, ou se
frottaient les bleus causés par les pesantes louches ; un cuisinier était
à ce point ivre qu’on lui avait retiré ses couteaux ; et la cage des
petits oiseaux destinés à être enfermés dans la pièce de pâtisserie afin de
distraire l’assistance en s’en échappant quand on la découperait s’était
renversée par terre et brisée, emplissant la cuisine à confiserie d’un grand désordre
d’ailes. Affolés par les envols de tabliers, les oiseaux s’abattaient dans les
feux, cognaient contre les volets, tentaient de s’échapper par les cheminées, bousculaient
les bonnets en toile de lin et fientaient partout. Une tarte de petites gelées
au lait d’amande auxquelles on avait donné la forme de divers animaux était, par
bonheur, déjà colorée de safran. Mais pour le reste, on dut essuyer, gratter, recouvrir
de sauce.
Dans une autre partie du château, des valets d’écurie ronchonnants
tressaient de rubans la crinière et la queue d’un palefroi blanc. L’animal, habitué
à l’opération, se laissait faire de bonne grâce, n’écrasant un pied que de
temps à autre. Dehors, dans la cour, les peintres qui ajoutaient l’ultime
touche d’argent à l’azur des vagues en bois découpé se faisaient harceler par
le charpentier, impatient de fixer les vagues à un navire dont elles devaient
camoufler les roues en bois. Le bateau avait déjà chaviré à deux reprises et un
garçon portant un pot de colle nauséabond était monté à bord pour réparer une
nouvelle fois les voiles. Dans une pièce proche de celle où reposait Sigismondo,
un groupe de nains étaient occupés à revêtir des costumes criards, prenaient
des poses avec leurs chapeaux à plumes et se querellaient à l’outrance [2] pour déterminer lequel d’entre eux porterait celui aux plumes teintes d’un superbe
écarlate. Deux nains, assis dans un coin en un paisible silence, réparaient des
guirlandes de papier gris acier en produisant le bruit d’une nichée de souriceaux.
Les préparatifs atteignirent leur frénésie maximale lorsque
le bruit se répandit que le duc et la duchesse venaient de traverser le hall et
avaient pris place sous le dais. La galerie des musiciens faisait saillie au milieu
d’un des murs. Ceux-là n’avaient pas la tâche facile car ils devaient jouer
suffisamment fort pour être entendus, sans pour autant empêcher les
conversations, et, de surcroît, la réputation de protecteur des arts dont jouissait
le duc contraignait son orchestre, en plus de la harpe, du cistre, de plusieurs
luths et trompettes et d’une corne, à se montrer suffisamment au goût du jour
pour y inclure un clavecin, dont beaucoup estimaient qu’il surpassait l’orgue
pour la variété de ses notes. En conséquence de quoi, les musiciens étaient si
serrés les uns contre les autres qu’un trompettiste avait emmêlé son instrument
dans une guirlande au cours de la longue fanfare qui avait annoncé et
accompagné l’arrivée du duc. L’infortuné éprouvait quelque difficulté à dégager
sa trompette du petit buisson de laurier et des boucles de ruban dans lesquels
elle était prise.
Les rubans étaient partout ce soir-là. Dans une antichambre
contiguë au grand hall, sept jeunes filles étaient occupées à enrouler des
rubans verts, argent et bleus autour de leurs bras nus et, malgré le feu
brûlant dans la cheminée, retardaient le moment où elles devraient se dénuder
jusqu’au voile de fine gaze qui préserverait à peine leur décence. Car pour le
banquet de remariage d’une veuve, personne n’attendait davantage qu’un minimum
de décence, et il ne faisait de doute pour quiconque que l’on assisterait à un grand
étalage d’indécence avant la fin de la soirée.
Les rumeurs concernant la colère du duc et ses conséquences
pour les familles Di Torre et Bandini étaient parvenues aux oreilles de tous, de
sorte que l’absence de certains membres des deux familles donna à quelques
convives l’occasion inespérée de s’asseoir à une plus haute place
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