Mort d'une duchesse
imprudents. Leandro
Bandini faisait-il étalage de son amour ?
— Celui-là…
Elle tourna la tête d’un air dédaigneux, faisant légèrement
crisser le filet doré.
— Il les courtise toutes. Beau, riche, il pense que le
monde entier est à ses pieds. À présent on l’avait jeté sur la paille d’un
cachot, quelque part dans les profondeurs du château.
— S’il y en avait une qu’il courtisait plus que les autres,
c’était dame Violante. Il lui faisait les yeux doux, lui écrivait des poèmes, chevauchait
à son côté quand il le pouvait. Mais c’est aussi très bien vu de lui faire la
cour, et les hommes agissent parfois de la sorte afin de détourner l’attention
du véritable objet de leur amour.
Surtout, se garda-t-elle d’ajouter, si cet objet est une femme
mariée, l’épouse de leur duc.
Un courant d’air souffla, couchant la flamme d’une chandelle.
De la cire coula sur le support, déborda, forma une petite flaque sur le chêne
sombre du meuble.
— Le poignard… commença dame Cecilia d’une voix
étouffée, réticente. La blessure a été causée par un poignard… Sait-on à qui il
appartient ?
À nouveau, Sigismondo secoua la tête.
— C’est un poignard ordinaire, comme n’importe qui
pourrait en avoir.
— Ce n’est donc pas celui d’un jeune homme riche.
Il apprécia sa vivacité d’esprit d’un haussement de sourcils.
Et, de manière tacite là encore, il était clair qu’un poignard trop banal pour
appartenir à un riche jeune homme saurait encore moins être celui d’un duc.
L’idée d’un meurtre non prémédité, commis au cours d’un
accès de fureur, perdait de sa vraisemblance ; toutefois, comme l’avait
remarqué dame Cecilia, les hommes étaient rusés. S’il avait eu l’intention de
tuer la duchesse, le duc se serait à coup sûr muni d’une arme anonyme.
Tandis qu’ils contemplaient le feu en silence, une voix
courroucée et péremptoire se fit entendre au-dehors. Un couinement de souris
protesta en réponse.
La porte s’ouvrit, le rideau s’écarta et Agnolo Di Villani
apparut en robe de chambre de velours mauve sombre, son visage indiquant sans
équivoque que sa nuit de noces décevait cruellement ses espérances. Il jeta un
regard furieux d’abord à Sigismondo, qui s’était levé et incliné, puis à sa
femme.
— Vous ne m’avez pas fait prévenir de votre retour. Qui
est cet homme ?
Il paraissait moins désireux d’apprendre le nom de Sigismondo
qu’impatient de l’éventrer pour voir la couleur de ses entrailles. Dame Cecilia
savait cependant apaiser ce genre de soupçon grossier, art qu’elle avait
peut-être appris auprès de ses deux premiers maris ; elle se leva, s’avança
vivement vers lui et enroula ses doigts dans le velours de ses amples manches. Comme
un chat qui se frotte à un autre, elle arqua son long cou pour blottir son
visage contre la poitrine de son époux. En cet instant, elle était une autre
femme.
— Mon ami. C’est l’homme du duc. Il a autorité pour
enquêter sur ce qui est arrivé à la duchesse.
Par-dessus l’épaule de sa femme, Di Villani considéra l’homme
du duc avec une hostilité que gênait le devoir de montrer soumission.
— Que reste-t-il à découvrir ? Le fils Bandini est
aux arrêts, grogna-t-il tel un ours attendant un repas trop longtemps retardé.
— Le duc m’a donné pour instruction d’éclaircir toutes
les circonstances de ce forfait.
— Pourquoi faire appel à vous ? Il a ses propres hommes
ici.
Parmi lesquels je ne suis pas le dernier, aurait-il pu ajouter.
— Pour la même raison, messire, qui l’a conduit à m’engager
pour enquêter sur la disparition de dame Cosima, à savoir que je n’appartiens, et
c’est de notoriété publique, à aucune des deux factions.
— Dame Cecilia est lasse. Il est tard.
Les mariés se seraient couchés plus tard encore si le banquet
s’était poursuivi normalement, mais l’épuisement causé par un excès de plaisirs
est bien différent de celui provoqué par la toilette du corps assassiné de votre
plus proche amie. Sigismondo s’inclina et se détourna pour s’en aller. Agnolo Di
Villani lui rendit son salut d’un bref hochement de tête à peine poli, puis se
dirigea à grands pas vers le haut lit à baldaquin installé dans un coin sombre
de la pièce.
Le petit page était à son poste devant la porte, prêt à raccompagner
Sigismondo à travers la taupinière du palais. À
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