Mort d'une duchesse
Il était désolé que la troupe ait été laissée dans l’ignorance
des événements, mais il avait d’abord dû informer ses nobles hôtes. Y avait-il
un problème d’argent, comme il venait de l’entendre ? Eh bien, il
réglerait de sa poche ce qui leur était dû par la duchesse. Qu’ils ne se
fassent aucun souci. Il leur offrait le gîte et le couvert dans ses quartiers, et
son intendant leur donnerait la somme qui leur revenait.
— Vous deviez être hébergés ici, certes, mais le duc ne
désirera certainement pas vous savoir chez lui. Vous risqueriez de lui rappeler
son malheur, comprenez-le. Faites vos bagages. Mes hommes vous aideront.
— Sait-on qui a tué la malheureuse dame ? s’enquit
une voix.
Le seigneur Paolo secoua la tête.
— Je crains que ce ne soit le fils d’Ugo Bandini.
Aussitôt, cris et vitupérations s’élevèrent dans les rangs
des nains ; Di Torre et Bandini avaient leurs partisans jusqu’en ce lieu. Le
seigneur Paolo leur rappela le décret du duc interdisant toute atteinte à la
tranquillité publique, et les voix moururent peu à peu. Ses hommes soulevèrent
les bannettes en osier. Les membres de la troupe ôtèrent en toute hâte les dernières
pièces de leur costume et se mirent en quête de leurs vêtements. Cupidon, endormi
sur une pile d’habits, fut réveillé sans ménagement, on lui enfila ses chausses,
on le secoua, on l’embrassa et l’emporta.
— Attendez ! Attendez ! s’égosillait Niccolo
en tentant de retenir ses comédiens. Il faut que je compte les costumes. Attendez !
Attendez !
Un nain coiffé du chapeau à plumes écarlates passa près de
lui en courant et il attrapa le couvre-chef au vol.
Sigismondo, la main droite sous le menton, l’index posé sur
la bouche, le coude dans la paume de sa main gauche, demeurait calme dans le tohu-bohu.
La monture en or de l’anneau luisait dans la lumière des torches. Le seigneur
Paolo lui adressa un signe. Sigismondo se décolla du mur et fendit la foule
surexcitée.
— Nous assistons au dénouement de la triste affaire de
ce matin.
Sigismondo s’inclina.
— Il est désormais inutile que vous procédiez à de nouvelles
recherches. Bandini devra rendre dame Cosima – mais je crains que cela ne
puisse sauver son fils. La miséricorde du duc ne saurait exclure la rigueur.
Sigismondo s’inclina à nouveau.
— Même si j’ai imploré sa merci, ajouta le seigneur Paolo
en se détournant pour s’en aller.
La foule s’écarta pour le laisser passer.
— Seigneur. Seigneur !
Un tout jeune enfant, plus jeune encore que Cupidon et
coiffé de bouclettes qui rappelaient la perruque dorée, mais vêtu d’un tabard
de page, tirait sur la tunique de Sigismondo en levant vers lui d’immenses yeux
bruns.
— Seigneur. Ma maîtresse veut vous voir.
Sigismondo s’accroupit à sa hauteur.
— Ta maîtresse ?
— Suivez-moi.
Ayant attiré l’attention de Sigismondo, l’enfant, comme
certain que ce dernier allait lui obéir, se glissa avec adresse entre les
jambes de la foule du hall d’entrée, parmi les convives restés à ressasser l’incroyable
nouvelle et la rumeur selon laquelle Ugo Bandini, apprenant l’horrible forfait
de son fils, s’était réfugié auprès du cardinal Pontano par crainte de la réaction
du duc. Dans le grand hall, des serviteurs, occupés à débarrasser les tables
tout en s’emplissant la panse, comméraient sur le même sujet. Se faufilant entre
les épaules avec la même habileté que mettait son guide à zigzaguer entre les
jambes, l’agent du duc suivit le petit page. Il est vrai que tous ceux qui
voyaient approcher Sigismondo s’écartaient d’un mouvement instinctif ; il
était habitué à ce fait et, dans une bataille, l’appréciait.
Le castello de Rocca aurait pu être bâti par des lapins
géants ; il recelait des passages de toutes sortes, en pierre ou en plâtre
peint, larges ou étroits ; certains, qui semblaient ne mener nulle part, révélaient
soudain un rideau ou un embranchement, qu’empruntait avec une agilité d’anguille
le page, lequel – petit lapin plein d’expérience – s’était muni d’un
flambeau dès qu’ils eurent quitté les parties éclairées par des torches fixes. Sigismondo
lui accordait toute sa confiance, en homme sachant à quel moment il peut s’en
remettre à l’inconnu, et qui, ce faisant, se sait moins en danger que beaucoup.
On arriva enfin aux appartements d’Agnolo Di
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