Mort d'une duchesse
perdit pas trop
de temps à son prie-Dieu.
Benno, même s’il dormait avec Biondello devant la cheminée
de la cuisine, et non avec la grosse fille comme il l’avait espéré, était lui
aussi comblé. Il avait assisté, au cours de ces derniers jours, à plus de
choses intéressantes qu’il n’en avait connu jusqu’alors dans sa vie entière, et
il s’était endormi avec la certitude que Sigismondo retrouverait dame Cosima
quels que fussent les obstacles qui se dresseraient en travers de leur chemin.
Si Benno avait craint le prolongement de leur séjour en ces
lieux, de telles appréhensions furent balayées à l’aube lorsqu’on le réveilla
pour lui donner ses instructions. Encore tout ensommeillé, il se mit debout, fit
taire Biondello qui manifestait bruyamment son impatience à se lancer dans l’action,
et entreprit de se procurer de la nourriture à emporter. Dans les écuries, il entendit
rire au premier étage de la maison. Le jardinier-palefrenier, qui dormait
littéralement debout, l’aida à sortir deux des chevaux de la maison Costa ;
Benno récupéra le sac contenant la colombe, de plus en plus facile à repérer, se
laissa bourrer la bouche et les poches d’abricots séchés et, claquant des
doigts à l’adresse de Biondello, traversa le gravier crissant pour conduire les
chevaux devant la maison. Avant de monter en selle, il baisa sa médaille de
saint Christophe et y pressa le museau consentant de Biondello.
Surgissant au-dessus des collines, un soleil citron jeta une
pâle lumière sur les murs de la villa, où un volet s’ouvrit. Tandis que
Sigismondo, emmitouflé dans son manteau et son capuchon, s’installait sur la selle
du hongre gris, une main s’agita à la fenêtre ouverte. Il y répondit d’un
simple geste.
Les grilles de fer forgé étaient toujours ouvertes lorsqu’ils
les franchirent. Benno, se retournant, vit que son maître souriait, et aussi qu’il
portait, sous le long capuchon de son manteau, une voilette de veuve.
CHAPITRE XI
« Tu m’appelleras “Madame” »
Benno ne posa aucune question car il pensait qu’il dormait
encore, qu’il ne faisait qu’imaginer tout cela.
Mais lorsqu’ils furent hors de vue de la villa, descendant l’allée
escarpée bordée de peupliers, Sigismondo repoussa son capuchon en arrière et
Benno resta interdit.
La puissante mâchoire était dissimulée par les plis de la
voilette qui recouvraient les joues et se rejoignaient sous le menton, formant
un triangle avec le rabat descendant au-dessus des sourcils, un triangle très
féminin qui ne laissait apparaître que les yeux sombres, le nez et la bouche. Benno
remarqua pour la première fois la courbe épaisse des cils, et dut convenir que
la bouche sensuelle pouvait fort bien passer pour celle d’une femme. Il avait
vu dans les rues de Rocca des matrones au visage tout aussi imposant. Sigismondo
sourit et remit son capuchon sur le voile de batiste noir. Biondello sortit la
tête du manteau de Benno pour jeter un coup d’œil.
— Tu es désormais au service d’une veuve, Benno : Dona
Maria-Dolores, veuve espagnole d’un cousin de Di Torre. Viens à ma hauteur et
dis-moi tout ce que tu sais de l’enfance et des relations de dame Cosima.
Benno, qui avait tout d’abord cru ne rien savoir à ce sujet,
découvrit en bavardant avec cette singulière compagne qu’il avait en réalité
beaucoup à dire. À mesure que le temps passait, la personne qu’il accompagnait
semblait devenir de plus en plus féminine, dans son allure comme dans son
comportement.
La voix se stabilisa en un profond contralto et, peu à peu, Benno
se mit à voir en cette fausse veuve une de ces femmes à la silhouette forte et
quelque peu masculine à qui il avait souvent eu affaire. Une foule de détails, que
Benno n’aurait su définir, lui firent bientôt oublier tout à fait son maître et
accepter sa transformation. Il parla des événements familiaux de la maison Di
Torre, des bavardages entre les serviteurs des différents hôtes, et des longues
discussions des soirées d’hiver sur des sujets tels que les relations du vieux
Matteo Di Torre avec l’un des invités venus pour Noël, ou celles de Jacopo
lui-même avec les parrains et marraines de ceux de ses fils qui n’avaient pas
vécu ; la répétition de ces scènes ainsi que la fierté qu’éprouvait Benno
à l’égard de la famille qu’il avait servie avaient imprimé de nombreux
souvenirs dans sa mémoire. Et lorsque, ayant
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