Mort d'une duchesse
poussière, où des coups de marteau et des
cris lui firent lever la tête et découvrir une étrange plate-forme en construction
devant un balcon sculpté.
— C’est l’échafaud, entendit-elle Angelo lui glisser d’un
ton anodin.
Elle en conclut qu’ils devaient être arrivés à proximité du
palais. Elle se sentait déjà lasse. Elle avait marché plus longtemps qu’elle ne
l’avait jamais fait de sa vie. Angelo se porta à sa hauteur et lui proposa son
bras. Cosima se remémora sa femme de chambre Sascha, qui lui prêtait son bras
lors de leurs promenades dans le parc de la maison de campagne de son père.
D’ailleurs, si elle avait accepté cette équipée, c’était aussi
contre ceux qui avaient tué Sascha, pour la venger. Pendant quelques instants, elle
oublia qu’elle prenait appui sur le bras d’un jeune homme, et lorsqu’elle en
eut conscience, elle chancela. Angelo s’y méprit.
— Vous n’aurez pas à parler une fois que nous serons à
la porte. J’ai l’argent ; le garde nous laissera passer. Laissez-moi faire.
Devant la porte, tandis qu’Angelo parlait de sa nouvelle
voix aiguë et repoussait d’un air modeste les avances qui lui étaient faites, Cosima
se répéta ce qu’elle allait devoir dire.
Angelo passa devant elle et suivit le garde. Barley, qui s’était
arrêté à l’entrée, paraissait si calme et détendu que Cosima reprit courage. La
pierre lisse et fraîche qu’elle sentait sous ses pieds était une bénédiction
après le sol grossier des rues. Le garde ne cessait de jeter des coups d’œil
derrière lui et de ralentir brusquement, semblant espérer que la charmante
créature qui le suivait allait le heurter. Cosima, qui avait vu cette même
charmante créature armée d’un poignard, ressentit une bouffée d’excitation et d’aventure,
comme si elle était entraînée vers quelque danger qu’elle était résolue à
affronter.
Par d’obscurs passages, ils s’enfonçaient de plus en plus
non dans le cœur, mais dans les entrailles du château. Elle remarqua qu’ils ne
croisaient personne. Le garde empruntait l’itinéraire le moins fréquenté, leur
en donnant largement pour la petite bourse de cuir qu’Angelo lui avait remise. Mais
il était à coup sûr aussi anxieux qu’eux de ne pas se faire surprendre.
Ils firent pourtant une rencontre. Ils venaient de descendre
une dernière volée de marches de pierre usées, éclairée d’une torche retenue
par une applique fixée à l’un des murs suintants, lorsqu’ils découvrirent un homme
qui ne pouvait être qu’un geôlier. Il demeurait au pied des marches, massif, l’air
soupçonneux, leur barrant le chemin ; la lanterne qu’il tenait éclairait
par en dessous ses traits grossiers tandis que la torche se reflétait
étrangement dans ses yeux, rouges comme ceux d’un rat.
— Qu’est-ce que c’est ?
Sa voix était râpeuse ; Cosima se dit que c’était parce
qu’il s’en servait peu et qu’elle avait rouillé.
— Qui sont ces gens ? Nul ne doit descendre ici sans
ma permission.
— Des visiteurs pour Bandini. C’est tout ce que je sais.
Après un dernier regard à Angelo, qui le lui retourna, le
garde repartit avec sa propre torche, ayant accompli la tâche que leur argent
avait achetée. Le geôlier demeura immobile, les considérant d’un air de plus en
plus incrédule.
— Bandini ? Personne ne doit voir Bandini avant qu’il
meure.
Un affreux sourire fendit son visage comme une blessure.
— À ce moment-là, vous pourrez le voir sous toutes les
coutures – et je suis pas sûr que ça lui plaise.
Le sourire se referma.
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
Il leva sa lanterne pour examiner le visage d’Angelo.
— Joli oiseau qui s’aventure dans ma cage.
La blessure se rouvrit, montrant sur ses bords des dents
noires comme la gangrène.
— Ma maîtresse doit voir son fiancé avant qu’il meure.
Angelo s’approcha du geôlier – par sympathie pour lui,
Cosima retint instinctivement son souffle – et lui chuchota à l’oreille
tout en glissant une bourse de cuir dans sa main libre, laquelle se referma
aussitôt dessus.
Les tresses dorées et enrubannées d’Angelo se mêlèrent un
instant aux mèches grises et grasses et, lorsque les yeux de rat enveloppèrent
Cosima pour la jauger, elle remercia le ciel d’être voilée.
— Ah. C’est donc ça, hein ? Piero est un ami de l’amour
sincère, pour sûr.
Il soupesa la bourse et
Weitere Kostenlose Bücher