Mort d'une duchesse
à fait exquis.
Le chapelain dégageait une autorité considérable. Il parut
évident aux yeux de l’intendant que, même s’il ne parlait guère, chacun dans le
groupe s’en remettait à lui pour le guider dans le domaine séculier autant que
dans le spirituel. L’intendant était loin de se douter que pendant qu’il
examinait les provisions à la cuisine, décidant ce que l’on pourrait servir et
ce qu’il faudrait se procurer, ce même chapelain faisait le tour de la maison
avec une impressionnante célérité, explorant escaliers et passages, vérifiant
toutes les sorties donnant sur les rues et ruelles bordant la maison de tous côtés.
Il découvrit trois portes, en essaya les verrous pour vérifier leur
fonctionnement, fit jouer les barres pour s’assurer qu’elles n’étaient pas
bloquées. Le judas de chacune de ces portes donnait sur une ruelle différente, l’une
d’elles n’étant qu’à une longueur de bras du mur opposé, et ces ruelles étaient
sombres comme un nid de rat. Une bonne qui remontait de la cave une brassée de
fagots destinés à la cheminée du grand salon fut surprise de tomber sur un
prêtre lorgnant la rue par le judas, mais elle se ressaisit et lui fit une petite
révérence lorsqu’il se retourna et la bénit.
Une chose qui étonna beaucoup l’intendant fut de voir que l’on
envoyait cet idiot de serviteur promener le petit chien de Madame non dans la
rue, mais sur la terrasse, et il craignit de devoir envoyer ensuite quelqu’un
de sa famille la nettoyer après le passage de l’animal – et de son
accompagnateur. L’intendant ignorait que l’adorable Angela avait proposé de
remédier au détail révélateur permettant d’identifier le chien en lui
sectionnant l’autre oreille, mais il avait entendu le cri d’indignation que l’idiot
avait poussé en serrant l’animal contre sa nauséabonde poitrine.
Une autre de ses surprises fut de voir Madame faire venir la
grosse brute dans sa chambre une fois qu’on y eut allumé du feu. Certes, sa
fille et sa femme de chambre étaient présentes, de sorte que l’invitation restait
dans les limites de la décence. Par bonheur toutefois pour la santé mentale de
l’intendant, il ne vit pas ladite brute assise sous une forte lumière dans le
fauteuil de Madame, s’efforçant de ne pas cligner des paupières pendant que les
doigts professionnels d’Angela noircissaient ses cils couleur sable avec un
mélange d’huile et de mèche de chandelle brûlée.
Puis Angela quitta la maison, vêtue d’un manteau de laine
sombre, un panier sous le bras, sa chevelure dorée couverte d’un carré de lin. Avant
de partir, elle informa respectueusement de sa sortie l’intendant, qui fut
ainsi rassuré de constater qu’au moins une personne parmi ses hôtes s’y
entendait quant à la bonne marche d’une maisonnée. Il n’aurait pourtant pas
compris que le but de la promenade était de contacter le vieux nain du palais, un
certain Durgan, et que le mot employé pour le mettre en confiance et le faire
venir à la porte de service du palais afin d’y faire entrer la belle créature
était « Altosta », village natal de feu le très regretté Poggio.
Lorsque Angela s’en revint, l’intendant était satisfait que
la maison fût convenablement apprêtée pour les hôtes de sa maîtresse, et que le
dîner que son épouse et sa nièce, toutes deux épuisées, étaient en train de
leur préparer serait digne de recueillir les louanges de dame Donati. Cela n’avait
pas été une mince affaire que de préparer le repas, car la ville était en
grande effervescence – les boutiquiers se montraient plus disposés à parler
politique qu’à servir les clients, l’approvisionnement se raréfiant depuis que
le palais faisait des stocks en prévision de la visite du duc Ippolyto, attendu
d’un instant à l’autre pour assister à l’exécution du meurtrier de sa sœur. Les
légumes de saison, arrivant chaque matin à la ville, étaient vendus au prix
fort avant de prendre la direction du palais, et même les porcs errant dans les
rues risquaient de se faire enlever. À la surprise de l’intendant, dame Donati
se montra offensée lorsqu’elle comprit qu’il la croyait venue à Rocca pour assister
à l’exécution. Après cela, il ne sut pas comment lui refuser ses clés lorsqu’elle
voulut aller chercher, dans les pièces que l’on gardait fermées depuis la mort
de Federico Costa, quelque chose que sa sœur lui
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