Mort d'une duchesse
flanquait des frissons, genou
plié et tête baissée.
— Bénissez-moi, mon père. Un mariage, ici, ça nous
changera des confessions forcées. Qui sait, ce sera peut-être le premier que
ces murs verront, depuis que les Romains les ont bâtis, dit-il en frappant la muraille
de sa paume. Un mariage, et aussitôt après les derniers sacrements, hein ?
Son rire, songea Cosima, devait ressembler au couinement d’un
rat s’étranglant sur un morceau de chair, et elle se pinça les narines tandis
qu’ils lui emboîtaient le pas dans le couloir humide conduisant à la cellule de
Leandro. Piero continuait à discourir sur les Romains tandis que, sur ses
talons, Sigismondo acquiesçait en lâchant de petits jappements.
— Voilà ta promise, Bandini !
D’un large geste, Piero ouvrit la porte de la cellule en
faisant tinter ses clés comme des clochettes de mariage. Cosima vit que Leandro,
un sourire anxieux aux lèvres, les attendait. Elle fut touchée de constater qu’il
avait épousseté la paille de ses vêtements et peigné de ses doigts ses cheveux
en désordre. Comme il avait dû souffrir en ce lieu ! À quoi songeait-il
pendant ces longues journées où il attendait la mort ?
Penché sur son bréviaire qu’avec des mains tremblantes il
orientait vers la lanterne, Sigismondo marmonnait des mots dont Cosima eut la
surprise de constater qu’ils étaient du bon latin. Quel genre d’homme était
donc cet individu qui avait surgi dans sa vie accoutré en veuve ? Mais
voilà qu’Angelo lui retirait son voile, tendait une bague à Leandro, debout à côté
d’elle, la tête humblement baissée, pendant que Sigismondo continuait à débiter
sa litanie en tournant les pages. La lanterne que le geôlier levait vers eux
faisait danser des ombres sur les visages, à l’exception de celui de Sigismondo,
noyé dans l’ombre du capuchon.
Elle sentit le regard de Piero qui penchait la tête pour mieux
la dévisager. Sur l’injonction du « prêtre », Leandro lui prit la
main et glissa la bague tour à tour à chacun de ses doigts avant de la passer à
l’annulaire et de l’y laisser. Il prononça les paroles, elle prononça les paroles…
Si Sigismondo avait été un vrai prêtre – et Cosima frissonna en songeant
qu’il l’était peut-être –, elle serait devenue la femme de Leandro
Bandini, et son père en serait mort. S’il l’avait vue en cet instant, il aurait
à coup sûr succombé à une crise d’apoplexie.
— Est-ce terminé, mon père ? s’enquit Piero en posant
la lanterne sur le seuil et – horreur ! – en s’avançant vers elle. Premier
baiser de la mariée ! La récompense de Piero pour son bon cœur.
Elle n’eut pas le temps de reculer pour éviter l’haleine
pestilentielle qui le précédait, sentit à peine la main de Leandro qui la
tirait en arrière et ne perçut qu’un brusque mouvement derrière Piero, comme
une ombre tourbillonnante sur fond de ténèbres. Le visage de Piero bondit vers
elle, grand comme dans un cauchemar, les yeux soudain exorbités tels ceux d’un
lièvre, la langue jaillissant vers elle comme pour la lécher. Elle perçut un
étrange et sonore hoquet puis, la seconde d’après, sentit qu’on la faisait
pivoter et se retrouva plaquée contre la poitrine de Leandro, serrée contre son
cœur qui battait avec précipitation.
— Les clés. Parfait…
Repoussant la main de Leandro qui voulait l’en empêcher, Cosima
tourna la tête. Malgré le verre qui la protégeait, la flamme de la lanterne
vacillait comme si le souffle de la lutte avait failli l’éteindre. Mais sa vague
lueur lui permit de distinguer Sigismondo et Angelo qui s’activaient dans un
coin, penchés sur une forme gisant à terre. Lorsqu’ils se redressèrent, elle
vit une silhouette recroquevillée sur le grabat, sur laquelle Angelo étendait
la couverture loqueteuse pour en dissimuler les graisseuses boucles grises. Sigismondo
défit le rosaire qu’il s’était enroulé autour du poignet et le renoua à sa
ceinture. Cosima sentit monter en elle une nouvelle nausée lorsqu’elle comprit
ce à quoi elle avait assisté : Piero venait d’être étranglé… Il le
méritait, se dit-elle avec colère pour apaiser ses sentiments. Ce n’était pas
le moment de faire des manières. Sigismondo retira de sous son habit une robe
sombre de laine fine, qu’Angelo et lui firent passer à Leandro comme deux
étranges dames d’atour. Sigismondo recouvra du même coup sa
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