Mort d'une duchesse
silhouette
habituelle.
Angelo ramassa la lanterne, Leandro prit la main de Cosima
et ils quittèrent la cellule, Sigismondo fermant la marche. Cosima l’entendit
verrouiller la porte.
Elle eut besoin de ses deux mains pour rassembler ses jupes
et gravir l’étroit escalier usé. Leandro, en la lâchant, chuchota :
— Je n’oublierai jamais ce que vous faites ! Jamais !
Je vous donnerai tout ce que vous voudrez…
Il fut interrompu par la soudaine apparition en haut de l’escalier
d’une silhouette portant une lanterne.
Leandro s’immobilisa un instant, Cosima sursauta de surprise.
Il s’agissait encore d’une créature de cauchemar, trop petite pour être un
homme, trop massive pour être un enfant, et dotée d’une barbe gris acier. Or, loin
de les menacer ou de donner l’alarme, le petit être mit un doigt en travers de
sa bouche puis, faisant demi-tour en leur intimant de le suivre, leur fit
emprunter à vive allure un passage en déclivité partant de celui qu’ils avaient
suivi tout à l’heure. Cosima s’imagina un instant qu’ils étaient transportés
dans l’une de ces histoires fantastiques que lui racontaient sa nourrice ou Sascha,
et qu’ils allaient rencontrer une sorcière, ou devoir affronter un monstre leur
barrant la route, avant qu’ils ne puissent regagner le monde extérieur.
Ils ne regagnèrent celui-ci qu’après avoir longé de nombreux
passages, certains si étroits qu’ils devaient progresser en file indienne, l’un
d’eux si bas de plafond que seul le nain pouvait s’y tenir debout. Cosima comprit
que ce dernier leur faisait suivre un itinéraire peut-être seulement connu de
ceux de son espèce. Elle avait entendu parler des nains du palais et songea, tout
en serrant ses jupes contre sa poitrine et en sentant ses voiles frôler la
pierre rugueuse, que l’antique château était tout entier sillonné de tels
passages où les nains pouvaient mener leur vie sans être vus. Celui qu’ils longeaient
à présent paraissait excavé à même le roc.
Elle se demanda si les nains ne l’avaient pas eux-mêmes
creusé.
À cet instant elle trébucha sur des débris de pierre, mais
la main de Sigismondo la retint par le coude. Si c’était lui qui fermait la
marche, c’est que le danger ne pouvait provenir que de leurs arrières, d’une
poursuite plutôt que d’une rencontre inopinée.
Bientôt ils perçurent non loin d’eux des sons humains, des
bruits de voix, le cliquetis de ce qui pouvait être des hallebardes, auxquels
se mêlaient les aboiements lointains d’un chien. Il semblait aboyer au-dehors, on
n’entendait pas l’écho que produit un espace confiné. Ils se trouvaient sans
doute près d’une porte donnant sur l’extérieur, flanquée de sa salle des gardes.
Cosima se dit, le cœur battant, qu’ils devaient être près, très près de la
liberté. Les murs du passage dans lequel ils se trouvaient à présent étaient en
pierre de taille.
C’est là qu’ils rencontrèrent l’homme à la torche.
Il surgit d’une porte latérale et, levant sa lumière, pivota
pour les regarder. Le nain obtura sa lanterne sourde. Sigismondo, derrière, fit
de même. Si Piero ressemblait à un gros rat, cet homme-là avait l’air d’une
belette, avec de petits yeux brillants et un long nez qu’il tordait sans cesse.
— Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?
La voix était cassante, mais révélait une bonne éducation. Vêtu
d’une longue robe, l’homme n’était ni un geôlier ni un garde.
— Ce sont des amis à moi, répondit Durgan. Je me porte
garant d’eux, messire…
— Maître Leandro !
Cosima s’entendit émettre un cri bref comme un jappement. Leandro
recula contre elle, protégeant son visage de la clarté de la torche. L’homme-belette
écarta avec rudesse Durgan qui protestait et, menaçant de sa torche Angelo, tendit
la main pour s’emparer de Leandro.
— Vous vouliez vous évader, hein ? Nous allons voir…
Ce que, dans ce pluriel plein d’assurance, il avait l’intention
de voir sombra d’un coup dans la pure conjecture. Cosima, plaquée contre
Sigismondo, savait qu’elle l’empêchait d’agir ; la belette n’avait qu’un
seul cri à pousser et les gardes accourraient, ce qui signifiait leur mort à
tous. Angelo avait arraché la torche des doigts de l’homme qui, main tendue, continuait
d’avancer. Cependant, de sa bouche ouverte, sortaient non des mots, mais du
sang.
Vacillant sous la soudaine poussée
Weitere Kostenlose Bücher