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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Richelieu…
    L’aisance que nous procura ce logis ne nous faisait pas oublier notre état militaire. Nous recevions de fréquentes visites d’officiers de notre corps, accompagnés de belles créatures. Ils racontaient leurs prouesses ; elles agrémentaient nos nuits. François faisait en sorte que sa présence ne passât pas inaperçue. Ses intrusions dans un cabaret, un restaurant ou une salle de spectacle s’accompagnaient d’ostentation. Il distribuait des cigares, offrait du champagne. Généreux comme Crésus mais moins riche que lui, il accumulait les dettes et me laissait le soin de faire patienter ses créanciers.

    J’ignore quel mauvais sort mit sur son chemin l’une des plus belles femmes de Paris : Fortunée Hamelin, fille d’unriche planteur des Caraïbes, séparée de son époux émigré. Leur coup de foudre retentit dans toute la bonne société.
    Durant des semaines, je fus témoin d’une passion qui semblait avoir fait oublier à François son cheval et son sabre. Le couple vécut dans une sorte de symbiose, comme si, de toute éternité, ils étaient destinés à se rencontrer. Fortunée était reçue chez les Bonaparte, ce que François, toujours animé de ridicules préventions contre le Premier consul, avait du mal à accepter.
    Ce qu’il ignorait, et moi de même, c’est que cette adorable créature était une vulgaire espionne de la police consulaire.
    François n’était pas le seul à juger inadmissible l’ascension politique de Bonaparte qui faisait litière des principes sacrés de la Révolution. Pour Pâques, sommé d’assister à un Te Deum à Notre-Dame en l’honneur du Concordat conclu avec le pape Pie VII, il avait décidé de s’abstenir. Je dus brandir le spectre de la disgrâce pour lui arracher une acceptation. Il céda mais sans cesser de fulminer contre les « superstitions » qu’on voulait lui « faire avaler comme des couleuvres ».
    Au cours de la réception aux Tuileries qui suivit la messe, le Premier consul avait demandé au général Delmas, mécréant notoire, ce qu’il pensait de la cérémonie à laquelle il venait d’assister. Delmas lui avait répondu avec insolence :
    – C’était une belle capucinade, monsieur ! Il ne reste plus qu’à changer vos dragonnes en chapelets. Il manquait à votre cérémonie les milliers d’hommes qui sont morts pour détruire les pasquinades que vous ressuscitez…
    Quelques murmures l’avaient approuvé. C’est sans doute ce que François eût répondu à sa place. Delmas allait payer son audace d’une disgrâce de onze ans.

    Le lendemain, invité à un dîner par le général de division Oudinot, dans son château de Polangis, proche de Paris, François se retrouva en compagnie de quelques officiers quipartageaient son admiration pour le général Bonaparte mais ses préventions contre le Premier consul.
    Au retour de ces agapes, il me confia qu’il avait été mêlé à son corps défendant aux prémices d’un complot contre le Consulat. Delmas s’était montré le plus âpre partisan d’une conjuration qui aurait pu prendre naissance dans l’armée. Un seul des convives s’était abstenu de prendre position : Marmont. Quant à François, il s’était écrié imprudemment en vidant son verre de cognac : « Je suis des vôtres, mes amis ! Je me fais fort de tuer Bonaparte, à vingt pas, d’une balle dans le front ! »
    – Tu es fou ! m’alarmai-je. Si ces propos sont rapportés à Bonaparte, tu peux dire adieu aux armes, ou pire encore.
    La mèche allumée par les rapports de Fortunée Hamelin et de la police militaire de Fouché n’allait pas tarder à faire éclater la bombe, mais la sanction n’eut pas la sévérité que je redoutais : François reçut l’ordre de retourner dans les Abruzzes, à Lanciano.
    – Tu ne me suivras pas, me dit-il. Je t’aime trop pour t’infliger cet exil et une pénitence imméritée. Tu vas donc rester à Paris et attendre une nouvelle affectation. Évite de te trouver en présence de Fortunée Hamelin, cette langue de vipère…
    Il avait retardé son départ de quelques jours pour assister à la première de Sémiramis , au Théâtre des Arts. Je craignais que les officiers rebelles ne profitent de la circonstance pour mettre à exécution leur projet, Bonaparte ayant promis d’être présent. J’aidai François à revêtir son habit : redingote à collet, culotte de satin, bas de soie, escarpins vernis… Il chantonnait un air

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