Mourir pour Saragosse
d’Italie en se mirant dans sa psyché. Quand il voulut prendre son pistolet, j’eus du mal à l’en dissuader.
Le premier ténor de cet opéra, Roland, ami d’Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, allait être malgré lui le bouc émissaire des événements qui allaient suivre.
À peine le rideau levé, François attira l’attention sur lui, critiquant à haute voix la musique et heurtant de sa canne la bordure de sa loge. Lorsque Roland lança le grand air, François porta un sifflet à ses lèvres, sans se soucier des protestations montant de la foule.
Le comble se produisit avant le deuxième acte lorsque le Premier consul fit son entrée. Le public se leva ; François fit de même mais, tournant le dos à Bonaparte et écartant ses basques, il lui montra son derrière, suscitant dans la salle des remous d’indignation et des insultes.
Plus personne ne parut s’intéresser aux malheurs de la reine de Babylone, le public guettant une nouvelle provocation de François, dont la loge faisait face à celle de Bonaparte. Soudain il disparut, la police consulaire l’ayant discrètement invité à la suivre au poste de la rue des Saints-Pères. On lui reprocha, son congé échu, de n’avoir pas rejoint sa nouvelle garnison et d’être impliqué dans l’affaire de Polangis. Il se défendit d’avoir comploté, disant qu’il était ivre, et renia des propos qu’il ne se souvenait pas d’avoir proférés.
Qu’à cela ne tienne : on allait procéder à une perquisition à son domicile. Là, il dut se dire qu’il était perdu : on découvrirait des publications et des chansons séditieuses, ainsi qu’une correspondance qui pourraient lui valoir le conseil de guerre.
Le ministre de la Police, Joseph Fouché, s’en mêla. Il rendit visite à François dans sa cellule, l’accusa de s’être vanté d’avoir « bien en main » quelques escadrons de hussards capables de soulever l’armée contre le pouvoir. François fit la bête. Lui, qui était à l’entière dévotion de Bonaparte, conspirer contre son idole, quelle idée absurde !
Lorsque, fortement encadré, il se présenta rue Notre-Dame-des-Victoires, il tomba dans mes bras et me fit part, à l’oreille, de ses inquiétudes. Je le rassurai : informé de cette affaire, j’avais placé ses documents en lieu sûr. Il m’embrassa sur les deux joues et me dit, le visage crispé par l’émotion :
– Antoine, tu es mon frère et je t’aime…
Les officiers de police ne trouvèrent dans son cabinet qu’un portefeuille contenant ses états de service. Ils réclamèrent sa correspondance. François leur répondit qu’elle était dans sa chambre. Il y conduisit deux policiers, les laissa fouiller dans les tiroirs de sa commode et soudain, ouvrant la porte donnant sur le palier, il la referma à clé derrière lui puis s’engouffra dans la rue par le jardin. Au domicile de Fortunée Hamelin où il se rendit en fiacre, l’explication dut être sévère. Ce qui lui importait à elle, c’est que l’on pût rendre publiques les lettres qu’elle avait envoyées à François, ce qui eût provoqué son divorce. Il dut la rassurer mais lui savonner la tête, certain qu’elle l’avait trahi et dénoncé.
Sûr d’y être en sécurité, il passa la nuit chez elle mais sa retraite fut vite éventée. À l’aube, la garde consulaire cernait la maison. Savary, aide de camp du Premier consul, s’empara de François pour le conduire à la prison du Temple avec un ordre des plus inquiétants : « Le ministre de la Police générale ordonne au concierge du Temple de recevoir et de garder au secret le nommé Fournier François, prévenu de conspiration contre la sûreté de l’État. »
Resté seul au domicile de François, malmené par des sbires qui me soupçonnaient de complicité, je n’obtins ma liberté qu’après d’énergiques protestations de bonne foi.
Je licenciai le personnel de maison et me rendis au ministère pour m’informer de la condition du détenu, Fortunée m’ayant averti de sa fuite. Je demandai la permission de lui rendre visite ; on me répondit que le prisonnier était au secret.
Je n’espérais plus qu’en un miracle : la clémence du Premier consul envers un olibrius qui était aussi un de ses meilleurs compagnons d’armes. Je me disais que cette arrestation, pour de banals propos de soudard, risquait de créer des remous dans l’armée et de conforter les projets des conjurés. C’était
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