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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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verre.
    Il était, quel que soit le temps, enveloppé de son manteau de laine brute, la capa , vêtu d’une culotte de peau à guêtres ouverte aux genoux, la taille prise dans une large ceinture d’étoffe rouge, coiffé en catogan à résille, avec un bandeau de même couleur autour de la tête. On ne pouvait l’approcher sans respirer son odeur alliacée. Son visage, cuit par le soleil, contrastait avec ses yeux d’un bleu intense.
    Marcello parlait un français relativement correct, appris, disait-il, dans un collège de Huesca, sa ville natale non loin de Saragosse, où sa famille faisait commerce de poteries avec les provinces de l’autre côté des Pyrénées. Il avait sa belle-famille à Saragosse et travaillait comme conducteur demulets à la grande huilerie de Goicoecha, dans le faubourg occidental.
    Je lui offris un verre de rancio au mess. À peine assis, je lui déclarai tout de go :
    – Bandera, tu nous rends des services précieux, et pourtant je n’ai aucune estime pour toi. Peux-tu me dire ce qui t’a poussé à trahir les tiens ? Peut-être le salaire qui t’est versé ?
    Il avala son vin et se leva :
    – Capitaine, si vous cherchez à m’humilier, je préfère me retirer.
    Je lui déclarai que je ne faisais que le « taquiner ». Il se rassit, se servit un autre verre et me confia que, s’il avait trahi sa cause, c’est qu’il détestait les Bourbons d’Espagne, notamment ce rey de mierda qu’était Charles IV, admirait l’Empereur Napoléon et faisait confiance au roi Joseph I er pour éliminer les derniers ferments de corruption d’un régime podrido .
    – Un officier de la junte, me dit-il, m’a proposé d’entrer dans la milice avec un grade important du fait que je parle français. J’ai refusé en prétextant une incapacité à tenir une arme. J’ai affirmé que ma main droite était paralysée. On m’a cru.
    J’avais, moi, du mal à le croire.
    – Mais enfin, Marcello, tu as pris notre parti contre ta ville, tes amis, peut-être ta famille !
    – Ma ville, capitán , c’est Huesca. Je n’ai pas de vrais amis et ma famille est acquise à ma cause, mais je préférerais mourir plutôt que de prendre les armes contre eux. C’est pourquoi j’ai refusé d’entrer dans la milice.
    Il me parla de sa mission qui n’était pas de tout repos. Entrer et sortir de la ville, même en costume de muletier, constituait un danger permanent, mais l’importance de Saragosse permettait d’ouvrir des brèches dans le blocus.
    – Je sais qu’un jour, capitán , je serai pris, fusillé ou pendu, mais j’aurai ma conscience en paix. En bon Aragonaisque je suis, je n’hésiterais pas à faire le sacrifice de ma vie. Au lieu de me blâmer, tu devrais essayer de me comprendre. Au-dessus des hommes, il y a les idées.
    Surpris par ce langage qui n’était pas celui d’un muletier, je lui demandai quel genre d’études il avait faites. Il me parla en quelques mots de sa jeunesse au collège religieux de Huesca et me surprit plus encore en me confiant qu’il avait lu toute l’œuvre de Cervantès, le Quichotte , bien entendu, mais aussi Numance , qui raconte le siège de cette ville par les légions romaines de Scipion, une lecture qui aurait dû l’inciter à faire montre de plus de patriotisme.
    Il me dit en prenant congé :
    – J’ignore si je vous ai convaincu. Je ne suis pas un traître au sens où vous l’entendez. Je vous le répète, je suis en paix avec ma conscience. Sinon, à quoi bon vivre ?
    Je ne fais que traduire ses propos car, malgré son aptitude à pratiquer la langue de Molière, il employait des expressions fautives et s’exprimait en espagnol quand un terme lui manquait. Je me sentais pris envers lui, sinon d’un sentiment d’amitié, incapable que j’étais d’accepter la totalité de ses idées, mais d’une forme de sympathie. Mon opinion n’était de toute façon d’aucun poids face aux services qu’il nous rendait : il était notre gazette saragossane…

    Nous avons fait une tentative d’irruption dans la ville par la porte del Carmen et avons reçu le même accueil qu’à celle del Sancho : des coups de feu partaient des fenêtres, à croire que tous les habitants étaient en armes et chaque demeure transformée en forteresse.
    Chargé de transmettre aux officiers les ordres du quartier général, je traversai des moments difficiles et perdis mon cheval, blessé à l’œil par un projectile qui avait dû atteindre le

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