Mourir pour Saragosse
siège, avant de me demander mon identité et l’objet de ma venue. Je lui donnai satisfaction et, plutôt que de lui tenir un discours, je lui tendis le message signé de Verdier et de Lefebvre-Desnouettes. Il accompagna sa lecture de rires sarcastiques et me dit d’un ton rogue et dans un français très correct, après avoir jeté le billet sur son bureau :
– Vos généraux se trompent, capitaine Barsac, s’ils s’imaginent que nous sommes prêts à leur ouvrir nos portes ! J’aurais pu leur envoyer un message identique pour leur proposer de vider les lieux. S’ils croient que nous sommes à court de combattants, de munitions et de vivres, ils se trompent ! Toute la population est sous les armes et prête à se sacrifier. Notre arsenal a de quoi vous tenir en échec et nosgreniers sont pleins. Vous avez détruit nos moulins à eau ? Nous en avons construit d’autres.
Il ajouta en se rasseyant :
– Ai-je été assez clair, capitaine Barsac ? De toute manière, vous aurez ma réponse par écrit.
– Je n’oublierai pas un mot de votre déclaration, Excellence.
Il eut un mince sourire.
– Dites plutôt « généralissime ». Je tiens beaucoup à ce titre. Vous pouvez vous retirer dans la cour, le temps de faire rédiger ma déclaration par un secrétaire.
Si j’avais la sueur aux tempes en quittant le palais avec mon escorte, c’est moins en raison de la chaleur que de l’émotion. Notre retour fut plus pénible encore que notre arrivée. La foule nous attendait et nous fêta à sa manière, malgré la présence de l’officier espagnol qui nous ouvrait la marche. Sans lui, nous n’aurions jamais pu regagner nos quartiers.
Verdier ne se montra ni surpris ni inquiété de l’insuccès de ma démarche.
– Notre but, me dit-il, était de montrer à Palafox que son obstination risque d’entraîner la ruine de sa ville, et que nos batteries sont prêtes à entrer en action. Le lui avez-vous bien fait comprendre ? Lui avez-vous parlé de l’enfer qui l’attend ?
J’aurais sans doute dû le faire, mais le message des généraux m’avait semblé suffisamment explicite.
Verdier et Lefebvre-Desnouettes allaient tenir parole.
Dès le lendemain, une cinquantaine de bouches à feu bombardaient divers points de la ville. Nous étions, grâce au renfort de Bazancourt, si bien pourvus en munitions que nos généraux s’offrirent le luxe – et le plaisir ? – de faire durer le feu deux jours, sans que l’ennemi ne réagît.
J’assistai à la lunette, du haut du Monte-Torrero, à l’écroulement et à l’incendie d’une multitude de maisons etde bâtiments publics, à croire que « l’enfer » n’était pas qu’une métaphore. Bandera nous annonça que nos projectiles avaient fait une ruine d’un cloître transformé en hôpital et que les malades rescapés, mêlés à des aliénés, s’étaient répandus dans la ville en provoquant des mouvements de panique chez les habitants.
Une attaque de grande envergure allait accompagner ce déluge de feu. Les premiers assauts se portèrent sur le sud de la ville, contre la porte del Carmen et Santa-Engracia qui cédèrent après quelques décharges de canons. Notre élan allait nous propulser sur le Cosso.
Je renonce à faire état par le menu des événements qui marquèrent ces assauts où j’accomplis, sans faillir mais la peur aux tripes, ma mission d’aide de camp.
Aux abords de la chapelle de San-José, je vis un prêtre en chasuble, portant un crucifix, suivi d’un groupe de femmes. Il s’écriait :
– Viva Zaragoza, Dios, la fe y la patria !
Accueillis dans le quartier de San-Gil par des salves nourries partant des fenêtres, nos soldats usèrent de grenades pour éliminer les tireurs. J’ai encore dans l’oreille le bruit des détonations, les cris des femmes et des enfants. Une vieille femme qui sortait d’un immeuble, le feu à ses jupes et brandissant sa canne, s’effondra à quelques pas de moi.
Place de la Miséricorde, un jeune prêtre s’avança vers un officier qui le menaçait de son pistolet et, tirant un sabre de sa soutane souillée de sang, lui ouvrit le crâne avant de disparaître. Bandera nous apprit qu’il s’agissait du patriote le plus ardent : Santiago Diaz. Nous allions entendre parler de lui en d’autres circonstances.
Près du Mercado-Nuevo, un groupe de cinq ou six de nos hommes pénétra dans un immeuble bourgeois à demi éventré ; leurs cadavres furent jetés par
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