Mourir pour Saragosse
hallucinant. Nous étions prévenus de l’importance de cette cité ; la vue que nous en avions dépassait nos pires prévisions.
Entre les remparts qui formaient une enceinte très apparente de cinq ou six kilomètres, surnageaient des dizaines,des centaines peut-être de dômes, de clochers et, sur le bord de l’Èbre, dans une brume de chaleur, la silhouette de l’énorme cathédrale del Pilar, qui abritait la statue miraculeuse d’une vierge protectrice de la ville.
En dehors du centre urbain, sur un arc de cercle dont les deux extrémités touchaient aux rives de l’Èbre, s’étendaient d’immenses faubourgs où s’élevaient des établissements religieux et des maisons particulières séparées par des jardins.
Au nord de la ville, se dressait sur une éminence la redoutable forteresse de l’Aljaferia qui dataient de l’occupation du pays par les Maures et où l’Inquisition avait sévi. Nous avions appris par des Français chassés de la ville que d’imposantes batteries avaient été postées sur les remparts.
L’impression que suscita en nous ce premier contact devait être identique à celle des croisés arrivant sur les collines dominant Jérusalem. Pour nous rendre maîtres de cette ville, il aurait fallu une armée de cent mille hommes et des centaines de canons.
Nous étions loin du compte…
Les premières opérations du siège allaient débuter après que l’état-major du général Desnouettes, que j’accompagnai, eut examiné en détail la configuration des lieux.
Divine surprise : après quelques escarmouches avec des groupes chargés de la défense du faubourg d’Eras del Rey, à l’ouest de la cité, nous avions atteint une des grandes portes de la ville : celle del Sancho. Trois décharges de canons l’ayant fracassée, ce fut la ruée.
Fausse joie ! À peine avions-nous forcé cet obstacle qu’une charge de cavalerie et des fusillades partant des maisons nous contraignirent à reculer avec des pertes sérieuses au cours du combat qui se déroula à l’extérieur.
La rage au cœur, nous dûmes faire retraite sur une éminence proche de l’Aljaferia, au risque de nous faire canonner par-dessus le fleuve.
Le lendemain, une délégation envoyée à Palafox pour demander la reddition de la ville se heurta à un refus méprisant, ce qui ne me surprit guère, cette tentative étant prématurée.
Maigre consolation : quelques jours plus tard, le général Grandjean et ses lanciers polonais durent affronter, sur la route d’Épila, un détachement de trois ou quatre mille Espagnols bien armés venus apporter leur soutien aux assiégés. Les lanciers fondirent sur eux comme la foudre et les dispersèrent à travers champ.
Nous allions, le 26 juin, recevoir un renfort appréciable : le général Verdier, à la tête d’une armée de quatre mille hommes, rejoignit nos positions.
J’eus une heureuse surprise le jour où je reçus une lettre du général de brigade François Fournier. Je la dévorai, la lus et la relus. Elle avait mis plus d’un mois à me parvenir, depuis la ville de Breslau, en Silésie. Son contenu ne me surprit pas.
Il m’écrivait :
Au cours d’un repas donné par notre général en chef, je me suis trouvé en compagnie d’officiers et de quelques dames polonaises et prussiennes triées sur le volet. J’avais entrepris la conquête d’une de ces créatures quand un officier d’ordonnance est venu me remettre un ordre de mission. Il exigeait une réponse immédiate. Je l’ai envoyé paître. Comme il s’obstinait, je l’ai prié de tenir à bout de bras le document et, tirant mon pistolet, je le lui ai arraché des mains sans le blesser. Tu connais ma générosité : pour le récompenser de son courage, je lui ai donné tout l’argent que j’avais dans ma bourse. Après cet exploit, qui a été vivement applaudi, ma jolie Polonaise n’avait rien à me refuser. Le secteur est calme. Il pleut beaucoup. Demain nous repartons en campagne.
Ton ami affectionné
Il avait ajouté en bas de page :
Tu me manques, Antoine. J’attends avec impatience le moment où nous nous retrouverons au Tapis vert, devant une bouteille de bergerac. Tu peux m’écrire par le courrier des armées :« Général de brigade Fournier, en opération dans la division du général Lamothe, en Silésie. »
Le siège se poursuivit de façon inattendue pour les assiégeants comme pour les assiégés.
Le matin du 27 juin, une formidable explosion me
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