Mourir pour Saragosse
appris qu’une armée d’insurgés avait dressé son camp dans les environs de Feria de Castro. Il s’y rendit à la tête de ses compagnies de dragons.
Il avait trouvé une armée d’environ vingt mille hommes dotée de quelques pièces d’artillerie et commandée par un officier, le général Mahy. La prudence aurait dû lui suggérer de retourner en hâte à Lugo et d’y attendre l’ennemi, mais parler de prudence à Fournier eût été lui faire injure.
Il mit son armée en position de combat, dans un vaste champ d’oliviers, et donna à ses dragons le signal de la charge. Ils partirent au galop en hurlant, bousculèrent l’avant-garde, s’enfoncèrent dans la multitude mais, cernés de toutes parts, accueillis par le feu des canons, ils durent rétrograder dans la précipitation.
C’est alors que François, la mort dans l’âme, donna à ses troupes l’ordre de se replier sur Lugo. En dépit de la hargne de quelques compagnies de fantassins catalans qui s’agrippaient à eux, la retraite ne se transforma pas en déroute.
– Tu m’as parlé de miracle, lui dis-je. Je n’en vois pas trace.
– Attends un peu, mon mignon ! Donc, nous voilà rentrés dans Lugo avec des pertes sévères mais sans que la situation soit désespérée. J’ai mis nos canons en batterie, mèches allumées, et attendu l’ennemi. Quelques salves l’ont tenu à bonne distance. Tu imagines ma réaction lorsque le général Mahy a envoyé des émissaires pour demander ma reddition. Je les ai foutus dehors à coups de bottes dans le cul !
Je ne voyais toujours pas pointer le miracle. François me confia qu’il avait en face de lui, en la personne de Mahy, une réplique de Fabius Cunctator qui tirait plusieurs fois son sabre du fourreau avant de donner l’assaut. Pourtant, derrière les murailles de brique de Scipion, la maître de Lugo avait du souci à se faire en inspectant les entrepôts de vivres et les magasins de munitions.
– J’avoue, me dit-il, que j’ai passé des nuits blanches à redouter une attaque qui aurait débordé nos défenses. J’ai dû, malgré les murmures, rationner nos hommes et compter leurs munitions. Si les cartouches venaient à manquer, ilfaudrait les couper en quatre. Chaque jour je passais en revue les troupes sur la belle promenade qui longe les remparts et je ranimais l’ardeur de la troupe par de petits discours pour leur rappeler que les aigles n’allaient pas se laisser capturer comme de vulgaires pigeons. Et, crois-moi, ça faisait son petit effet…
– Tu aurais pu demander du secours à Ney, à Kellermann, à Soult…
– Impossible de sortir de cette souricière. D’ailleurs les deux premiers poursuivaient leurs opérations de pacification dans d’autres provinces et Soult était en campagne au Portugal contre les Anglais. J’étais seul, seul et perdu. Mon unique recours était d’organiser des sorties, mais si elles effrayaient l’ennemi, elles ne le décidaient pas pour autant à foutre le camp.
Fournier eut le vertige en sondant les réserves de vivres et de munitions. Les réquisitions draconiennes chez l’habitant étaient devenues inutiles et les tirs depuis les remparts avaient presque épuisé la provision de poudre et de boulets.
Le 23 mai de l’année 1809 allait s’inscrire dans l’histoire des guerres d’Espagne.
– Ce jour-là, je constatai qu’il ne nous restait qu’une journée de vivres et une caisse de cartouches, alors que le général Mahy, sortant de sa torpeur, faisait donner ses canons avec plus de force qu’auparavant. J’ai décidé de jouer mon va-tout : une sortie de masse, toutes unités confondues, pour tenter de prendre la direction d’Oviedo, avec les aigles impériaux dans nos fourgons.
C’est alors que le miracle s’était produit. La voix de François me conta la suite de cette épopée d’une voix brisée par l’émotion :
– Je venais de prendre les dernières dispositions pour la sortie quand, en jetant un regard sur le camp ennemi, j’ai constaté qu’ils pliaient leurs tentes et éteignaient leurs feux. Mahy venait d’apprendre qu’une armée française marchaitsur Lugo. Deux heures plus tard, la place était vide. Un miracle, te dis-je !
Cette armée française était celle de Soult. Au Portugal, il avait dû faire retraite face aux forces supérieures des Anglais du général Wellesley. Quelques semaines plus tard, le héros de Lugo, mis en disponibilité, retournait en France. Il
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