Mourir pour Saragosse
optimistes, capitán . Ils sont persuadés que le climat va jouer en leur faveur, que les pluies, la neige, le froid et les maladies vont être leurs alliés. Ils n’ont pas tort : nos hivers peuvent être terribles. Je crains que nous soyons appelés à vivre des jours difficiles.
Je lui rappelai que notre expédition dans les montagnes de Somosierra, l’année précédente, n’avait pas été une partie de plaisir et que ceux qui s’étaient battus dans les plaines d’Allemagne, de Prusse et de Pologne, au cœur de l’hiver, ne craignaient plus ces intempéries.
Je lui demandai comment la population avait réagi à la perspective d’un second siège.
– Comme tu peux l’imaginer, capitán . Elle est accablée. Elle croyait être guérie à jamais de ce qu’on appelle ici la peste française. Quand nos gens ont vu arriver l’avant-garde de Moncey, ce fut comme un tremblement de terre, la stupeur à tous les niveaux de la société.
Certains défaitistes ayant souhaité que la ville nous ouvrît ses portes, la junte et Palafox avaient dressé des potences sur le Cosso et les places principales avec cet avertissement : « Quiconque proférera des propos séditieux sera pendu. » C’était l’équivalent de notre guillotine au temps de la Terreur.
– Les femmes se préparent de nouveau au combat, ajouta Marcello. Pour m’éviter des soupçons, mon épouse s’est engagée dans sa compagnie paroissiale et fait autant de bruit que ses compagnes. Les plus hardies ont réclamé des fusils. Les autres se contenteront d’aider aux cantinas , de soigner les blessés et de fabriquer des cartouches. Toute la population, exceptés les enfants en bas âge et les vieux, a déjà pris les armes.
Il poursuivit :
– Tu ne tarderas pas à entendre parler d’une créature redoutable : la jeune, belle et ardente comtesse Burida. Devenue veuve lors du premier siège, elle vient d’épouser Pedro María Ric y Montserrat. Son vrai nom, tu ne le retiendras pas : María Consolación Azlor y Villavicienzo. Si tu la croises, ce que je ne souhaite pas, tu ne pourras la distinguer des autres femmes. Elle est vêtue comme ses compagnes et porte en permanence un fusil et deux pistolets, même pour la messe ! C’est pour nos femmes une sorte d’idole vivante, une nouvelle Jeanne d’Arc. Elle a fait jurer à sa compagnie de combattre et de mourir plutôt que de se rendre. Tu pourrais bien la rencontrer un jour sur une barricade…
Bien que la soupe manquât de sel, nos troupes montraient de l’allant, voire de la gaieté et, lorsque Lannes était en selle pour la revue ou l’exercice, elles chantaient des hymnes guerriers. Habitués à se saisir d’une salière, nos hommes répugnaient à utiliser de la poudre à cartouche pour donner du goût à leur frichti. On ne trouvait de sel, mais à prix d’or, que chez les négociants qui avaient suivi l’armée et tenaient boutique dans le camp. Des détails de ce genre, en apparence anodins, peuvent affecter le moral d’une armée.
Nous avions appris que la région était riche en mines de sel. Où se trouvaient-elles ? Mystère. Marcello Bandera lui-même l’ignorait, de même que les quelques prisonniers tombés entre nos mains.
Lannes confia à un officier réputé expert en géologie, le capitaine Ferrusat, le soin de prospecter les environs. Après quelques jours de recherches intensives, celui-ci tomba sur une mine, à l’embouchure de la rivière Jalón, au lieu-dit Utebo. Lorsqu’il revint à Saragosse avec des chariots débordant de cette précieuse denrée, il fut accueilli comme un héros.
Avant le début des opérations, nous allions devoir nous battre pour le contrôle du fleuve.
Un groupe de marins de Carthagène était venu prêter main-forte aux assiégés. Ils avaient constitué une flottille de barques dotées de canons, dans l’intention de contrarier nos passages d’une rive à l’autre et de protéger le pont. Notre état-major décida de s’extraire cette épine du pied dans les plus brefs délais.
Durant toute une journée, nous allions assister, des parapets de la rive droite où nous avions installé des batteries, à un feu intense. Trop lourdement chargées et lentes dans leurs manœuvres, les embarcations furent, l’une après l’autre, canonnées et envoyées par le fond. Je contemplai le spectacle navrant des marins encore en vie se débattant dans le courant pour tâcher de gagner la rive opposée.
Cette
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