Mourir pour Saragosse
me demandait d’intervenir ! Mal informé de cette affaire, je négligeai de répondre.
De François Fournier, je reçus trois lettres d’un coup, entre Valladolid et Saragosse. J’y retrouvai des récits de bataille dans les confins de l’Europe et d’aventures galantes, dans le style primesautier qui lui est propre.
Un de ces courriers me figea de stupeur. Il m’annonçait que François avait été fait baron d’Empire à la suite des campagnes de Prusse où il s’était montré héroïque. Les bras m’en tombèrent.
Il me disait sa déception de n’avoir pas encore obtenu la Légion d’honneur.
Il faudra bien qu’un jour ou l’autre je décroche la croix, nom de Dieu ! À Dresde, je me suis abaissé à lécher les bottes de Sa Majesté impériale, sans résultat, alors qu’on distribue cet honneurà des paltoquets qui n’ont jamais tâté des armes ! À croire que Napoléon a mis toutes mes demandes au panier…
J’aurais pu lui répondre que la rancœur de l’Empereur était justifiée et qu’il aurait dû se satisfaire de son nouveau grade et de son titre nobiliaire.
Dans une autre lettre de six pages, postée en Westphalie, il me racontait par le détail et avec une pointe d’exubérance ses combats en célébrant ses propres exploits. Des historiens allaient en témoigner : il exagérait à peine ses actes d’héroïsme.
J’avoue l’avoir jalousé, moi qui ne figurerai jamais dans la légende des héros. Le grade de général était devenu un mythe sans que j’en éprouve du dépit, peu ambitieux que je suis, en adepte de la philosophie voltairienne.
La troisième et dernière en date de ces missives mit un comble à ma surprise et me combla de bonheur : dans le corps d’armée commandé par le général Lorge, François Fournier, mon frère, allait se retrouver en Espagne.
La déroute des troupes anglaises, victoire à la Pyrrhus, nous avait occasionné de telles pertes en hommes et en chevaux que nous aurions dû, en toute logique, bénéficier d’un bon mois de repos et reconstituer nos unités dans les parages de Madrid. J’en aurais été d’autant plus heureux que je rêvais d’une nouvelle rencontre avec la comtesse Clara et d’ébats plus concluants.
Et c’est à Saragosse qu’on nous envoyait, comme si ce second siège constituait une urgence !
J’avais appris en arrivant que le général François Fournier avait reçu l’ordre de prendre position à Lugo, capitale de la Galice, dans la vallée supérieure du rio Miño. Ce ne serait pas de tout repos ; il allait avoir à affronter, sinon une armée organisée, du moins une multitude de guérillas armées.
Il allait y connaître des conditions pires qu’en Europe centrale et en Pologne. Lors d’une rencontre, quelques mois plus tard, sur la fin des guerres d’Espagne, il me fit une révélation surprenante :
– Tu connais mes convictions, qui sont à peu de chose près les tiennes. Eh bien ! je dois reconnaître que certaines circonstances ont failli me faire croire aux miracles !
– De la part d’un athée comme toi, cela me laisse sceptique.
– C’est pourtant ce qui m’est arrivé. En une journée, je me suis cru capable de traverser un brasier sans me brûler les moustaches et de me mesurer à une gueusaille de mille brigands !
Il ne disposait, pour défendre Lugo, que de forces dérisoires : trois bataillons de ligne, deux escadrons de dragons et quelques pièces d’artillerie, soit tout au plus quinze cents hommes pour tenir en respect une province en insurrection !
– Je me suis demandé si l’Empereur se foutait de moi ou s’il avait décidé de me mettre à l’épreuve une fois de plus. Cette ville sinistre, derrière une enceinte datant de Scipion, habitée par des gens amorphes qui attendaient mon échec avec de l’ironie au coin de l’œil, était à crever d’ennui ! Je devais à tout prix protéger le précieux dépôt des aigles impériaux qui m’était confié. Tu me vois, moi, en gardien du temple des vestales ? J’en rigole encore…
Le premier souci du nouveau maître de Lugo fut de s’assurer qu’il ne serait pas assiégé par une horde de dizaines de milliers d’insurgés.
Chaque jour, des missions de reconnaissance quittaient la garnison pour prospecter les parages et ne revenaient pas toujours indemnes. François avait décidé de prendre le taureau par les cornes et de provoquer l’ennemi par une véritable expédition, quand il avait
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