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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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pas fait, vous vous en doutez. Il va sans dire que nous n’allions pas reprendre la route sans nous sustenter. Nous avons un peu abusé des délices de cette table, qui nous furent offerts… avec des grimaces. Quand je suis reparti, il me semblait que le monde tanguait sous les jambes de mon cheval. J’ai retenu le nom de notre « bienfaiteur ». Don Francisco Alvarez, alcade d’Alcaniz, aura toujours une place dans mon cœur…

    Cette expédition n’eut pas toujours le même agrément. Certains détachements tombèrent dans des embuscades de paysans descendus des montagnes. Le colonel Gasquet tua une centaine de ces malheureux qui furent jetés dans le lit d’un torrent, sans la bénédiction d’un padre .
    Les résultats de cette opération furent loin d’être négligeables. Wathier et ses officiers en avaient ramené des chariots de vivres, de vin, de fourrage, et un troupeau de bœufs et de mérinos. Nous étions parés pour quelques jours et la troupe avait retrouvé son alacrité des lendemains de victoire.

    La junte de Saragosse ne manifestait aucune clémence pour les rétentions de vivres dont les particuliers se rendaient coupables. La police avait découvert chez un riche soyeux du Cosso une cachette contenant des sacs de farine, des fromages et de la charcuterie. Celui-ci fut pendu sous les vociférations et les crachats de la populace. D’autres allaient suivre.

    Lejeune ne me cachait rien de ses relations avec Rosa.
    Un soir, après le repas au mess, il m’avoua qu’elle était « sa petite lumière » et l’aidait à supporter l’ennui. Devinant qu’il avait besoin d’un confident, je l’encourageai à poursuivre ; il le fit sans réticence. C’est ainsi que j’appris que Rosa avait cédé à ses avances sans qu’il eût besoin de la presser.
    – J’en suis très épris, me dit-il. Je trouve en elle ce que j’ai cherché en vain chez les belles dames de Paris : les élans sincères, la fougue et… la pointe de sauvagerie et d’innocence qui pimente nos ébats.
    Lorsqu’il m’affirma que, le siège terminé, il l’épouserait, je faillis pouffer de rire. Je savais ce que valent ces amourettes de garnison et combien elles durent : comme aurait dit le poète Malherbe, « ce que durent les roses, l’espace d’un matin ». Rosa portait le nom de cette fleur…

    Quelques jours après la prise du couvent-forteresse San-José, alors que je prenais position avec Lacoste sur un parapet proche de l’Èbre, j’écarquillai les yeux en voyant venir vers nous un prêtre d’allure majestueuse, vêtu de ses habits sacerdotaux. Il semblait vouloir administrer à un moribond les derniers sacrements.
    De crainte qu’il n’eût une arme sous sa soutane, je lui ordonnai d’interrompre sa marche. Comme il refusait d’obtempérer, je le mis en joue et demandai à un soldat de le fouiller. Il ne portait aucune arme sur lui et ne paraissait pas troublé par cet accueil.
    Je l’apostrophai dans sa langue :
    – Que venez-vous faire ici ? Ignorez-vous ce que vous risquiez ?
    Il me répondit dans un assez bon français :
    – Je ne l’ignore pas, capitán , mais la mort m’importe peu. Je viens vous faire entendre la parole de Dieu. Elle est plus forte que celle de vos canons.
    – Et que dit-elle ?
    – Elle vous ordonne de vous retirer. Le plus tôt sera le mieux, puisque vous ne viendrez jamais à bout de notre ville. Ceux qui s’y sont essayés ont dû renoncer. La Vierge del Pilar la protège depuis des siècles.
    Je savais que la junte avait fait enlever la statue dite miraculeuse de la cathédrale pour la mettre à l’abri. Je le lui rappelai ; il sourit.
    – Où qu’elle soit, elle veille sur nous. Savez-vous qu’elle continue de sa cachette à faire des miracles ? J’aimerais vous en parler car j’en ai été témoin. Il faudra bien que vous m’écoutiez…
    Une salve partie des remparts lui coupa la parole. Je le priai poliment de rejoindre sa paroisse plutôt que de risquer une balle perdue.
    – Mécréant que vous êtes ! Vous préférez le bruit des fusils à la parole divine. Eh bien sachez que votre mort est annoncée, capitán  !
    Il s’inclina et s’en fut, du même pas processionnel. Lacoste me reprocha de l’avoir laissé filer.
    – Qu’aurais-je dû faire : lui tirer une balle dans la tête ?
    – Sans doute ! Ces prêtres sont plus dangereux que les soldats qui nous prennent pour cible. Ils entretiennent dans la population

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