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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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deux pièces d’artillerie.
    Lejeune m’envoya d’urgence sur les lieux. Lorsque j’arrivai, Mérindo était sur le point de s’en prendre à notre infirmerie. Je lançai une charge à la baïonnette, tuai une centaine d’Espagnols et capturai leur général. Cet exploit me valut, au soir de cette rude journée, une réception dans le mess et la promesse d’une distinction… que j’attends encore.

    La prise de San-José, la destruction de la flottille de Carthagène, l’échec de Palafox devant l’Aljaferia et de Mérindo devant Alagon avaient durement affecté la confiance de la population. À la suite des honneurs qui me furent rendus au quartier général, Marcello, invité à boire une cruche de valdespino, me confia que la santé mentale de Palafox donnait des signes de faiblesse.
    – Je crois qu’il devient fou ! Il fait publier par la Gazetta des nouvelles destinées à remonter le moral de la population. Le général anglais Reding, de retour de Catalogne, viendrait au secours de Saragosse avec soixante mille hommes. Au cours d’une bataille, les Français auraient perdu les généraux Ney et Berthier. Castanos quitterait l’Andalousie avec vingt mille hommes pour se porter en renfort. Le comble : le marquis de Lazán aurait franchi les Pyrénées et mis le siège devant Toulouse, ce qui aurait entraîné l’abdication de l’Empereur !
    Notre agent poursuivait Palafox d’une haine inexpiable. Les motivations en étaient obscures, mais il lui reprochait ouvertement ses allures de don Quichotte, de baudruche qui, se prenant pour un demi-dieu, faisait payer au peuple ses ambitions démesurées. Il le traitait même de hijo de puta , ce qui me choquait, mais il se mêlait à ce mépris un motif secret dont il refusa toujours de me parler.
    Je ne pratique pas le culte des héros et de leurs exploits, dus souvent au hasard ou à des forces inégales plus qu’au courage. Pourtant, je ne pouvais me défendre, envers José de Palafox, d’un sentiment de respect, voire, je le confesse, d’admiration.
    Il incarnait ce que j’aurais moi-même ambitionné mais comme une absurde utopie : tenir en main toute une population, faire qu’elle n’ait qu’une seule âme et qu’un seul objectif : forger la résistance comme on bat le fer d’une épée. Sans aller jusqu’à souhaiter sa victoire, j’aurais regretté sa mort ou, pire encore, l’humiliation d’un exil dans une de nos forteresses.
    J’avoue qu’il m’aurait plu de le rencontrer en d’autres circonstances pour fumer en sa présence un bon puro devant un verre de rancio.
    Ce que je ressentais pour cet authentique héros me rappelait les relations de François Fournier avec l’obscur bretteur qu’il poursuivait de sa haine et de sa considération, et dont,sans doute, il redoutait de se séparer, qu’il en fût vainqueur ou victime. J’ai appris à ce propos qu’après avoir mutuellement cherché à se voir durant les campagnes de Prusse et de Pologne, ils s’étaient retrouvés par hasard, dans un port de la mer Baltique, et avaient croisé le fer avec la monstrueuse jouissance que je présume, mais sans parvenir à la conclusion fatale.
    Le siège prenait mauvaise tournure, après deux semaines d’escarmouches.
    Nous avions compris que nous ne devions pas nous soucier seulement de Saragosse mais de la province d’Aragon tout entière qui était sur le pied de guerre et dressée contre nous. Certaines nuits, nous pouvions apercevoir, sur les hauteurs dominant la ville, des feux de bivouac. Ce n’étaient que des groupes d’insurgés, des campesinos pour la plupart, qui échangeaient des signaux avec des guetteurs de la ville perchés dans les clochers.
    Il devenait dangereux de s’éloigner de la ville. Certaines de nos patrouilles extra-muros ne revenaient pas de leur mission. Un matin, nous avions découvert, sur le parapet d’une tranchée, le cadavre d’un de nos hommes écorché vif, des pieds à la tête, avec ses testicules entre ses mâchoires.
    Les fausses nouvelles propagées dans la cité, à l’instigation de la junte et de Palafox, soulevaient l’enthousiasme de la population. C’étaient des sonneries de cloches, des feux de joie, des rassemblements sur les remparts pour nous couvrir de quolibets alors que nul exploit ne justifiait une telle exaltation.
    – Il n’y a pas lieu de vous inquiéter, mes amis, nous rassura Marcello. Le feu d’artifice et les coups de canons de la nuit passée

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