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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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siège, Palafox en avait fait à la fois son conseiller et son meneur d’hommes. Nous l’avions capturé, mais le général Lefebvre-Desnouettes, en levant le siège, l’avait libéré et nous avait laissé ce cadeau empoisonné.
    Cette mansuétude aveugle n’avait pas éteint la haine qu’il vouait à tout ce qui était français : elle se traduisait dans ses actes, ses propos et ses écrits d’une extrême virulence.

    Nous avons dû, ce jour-là, renoncer à prendre San-Agustin.
    À Santa-Monica, à l’ouest de la ville, les choses ne se présentaient guère mieux. Le couvent était défendu par un des meilleurs officiers de la junte : le général Mori. Il fallut au colonel Henri le renfort de deux bataillons d’infanterie simplement pour se maintenir sur les positions ouvertes par une terrible charge de dragons.
    Les fusillades durèrent toute la nuit, m’interdisant le moindre moment de repos, alors que j’étais exténué. Des Espagnols, à la faveur de l’obscurité, s’infiltraient dans nos abris, égorgeaient nos sentinelles et nos soldats somnolents et se fondaient dans l’ombre.
    Je surpris l’un d’eux au moment où il se ruait sur moi avec sa navaja. Je déchargeai mon pistolet dans son ventre. En tombant sur moi, il m’aspergea d’une vomissure de sang. C’était un paysan ; il puait comme un porc.
    À l’aube, le colonel Henri donna le signal de l’assaut général. Lancés comme une horde de sauvages sur les retranchements ennemis, nous les avons débordés, poussé jusqu’à la porte principale une pièce de gros calibre qui nous ouvrit l’accès à la redoute. Dans l’engagement qui suivit, le général Mori trépassa, la gorge ouverte par une baïonnette.

    On se battait toujours devant Santa-Engracia. Je m’y rendis après la prise des Trinitaires et assistai à une scène atroce.
    Les derniers défenseurs avaient fini par céder à nos assauts, mais, plutôt que de se rendre, ils faisaient pleuvoir sur nous une grêle de projectiles à la moindre tentative d’approche du haut du clocher où ils avaient trouvé refuge. Ils avaient pris soin de détruire l’escalier, si bien que, pour les déloger, des mineurs entreprirent de les enfumer en faisant brûler desfascines arrosées d’huile. Nous les vîmes se signer et se jeter dans le vide en hurlant. Pas un ne survécut.

    Le lendemain, apprenant que Lejeune avait été blessé devant San-Agustin, je me rendis dans la masure où il avait élu domicile. Il avait été touché à l’épaule par un boulet qui, à un pouce près, aurait pu lui arracher la tête.
    – À tout prendre, me dit-il avec un mince sourire, j’ai eu de la chance. C’est mon épaule gauche qui a été abîmée. Si ç’avait été la droite, j’aurais dû renoncer au dessin. Autant renoncer à vivre…
    La blessure n’était pas grave au point d’aller la faire soigner dans ce qu’il appelait la « grande boucherie d’Alagon ». Il apaisait sa souffrance en buvant force rasades de rioja et en fumant cigare sur cigare. À moitié ivre, il bredouilla :
    – Ces remèdes sont les seuls qui me conviennent. Ils sont plus efficaces que la poudre de perlimpinpin et les affreuses tisanes des médicastres !
    Durant l’attaque contre San-Agustin, il avait occupé ses moments de répit en crayonnant des scènes avec l’intention d’en faire plus tard une grande toile. Il tint à me les montrer. On y voyait un assaut à la baïonnette, des monceaux de cadavres et, dressée au-dessus d’une de ces scènes, une grande croix portant à sa base l’image d’une Vierge, bras écartés et visage extatique.
    – Antoine, es-tu sensible à ce symbole ? Cette image d’une sérénité évangélique, mêlée à ce massacre, c’est tout le drame de l’Espagne.
    Je lui parlai de Rosa Morejon ; il n’en avait pas de nouvelles.
    – J’étais trop pris par les préparatifs de ces attaques pour me rendre à nos rendez-vous habituels. Elle me manque cruellement. Bandera, que j’ai envoyé sur les lieux, m’a appris que la masure du vieux Luis était abandonnée. Peut-être ne la reverrai-je plus…
    Il avait conçu cette idée absurde que Rosa aurait bien pu se trouver parmi les femmes qui ravitaillaient les combattants et se battaient à leurs côtés. Un des volontaires de la junte était venu la trouver, avant ces assauts, pour lui proposer d’aider à la défense de la ville.
    – Elle a refusé, sous prétexte qu’elle devait prendre soin

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