Mourir pour Saragosse
à l’infini ceux de Saragosse.
Lannes avait confié au général François Haxo la poursuite du siège, en liaison constante avec le chef du génie, Rogniat.
Cet officier de haut mérite, ingénieur militaire issu de Polytechnique, revenu d’une mission de deux ans à Constantinople, avait été versé dans l’armée de Masséna avant de se retrouver devant Saragosse. Sa compétence en matière de génie s’accompagnait d’un courage, d’un esprit combatif et d’un talent de meneur d’hommes reconnus par les hautes instances. C’était un bloc d’énergie ; il allait nous en donner la preuve.
C’est à lui et à Rogniat que le commandant de l’artillerie, le général Dedon, avait confié le soin de reconstruire sur l’Èbre le pont de bateaux que la crue avait démantelé. Il s’était exécuté et avait bâti un pont volant fait de grosses barques reliées entre elles par une plate-forme et chargées de canons de fort calibre devant assurer le blocus de la ville par le fleuve.
J’avais obtenu de Lejeune la permission de me joindre à eux avec un groupe de chasseurs à pied destiné à protéger les terrassiers et les mineurs en cas d’attaque.
J’avais une autre fonction, officieuse et bénévole : écrivain public. La plupart des hommes étant incultes, j’assurai la correspondance avec leur famille. Ils me remerciaient d’un cigarillo ou d’une rasade du vin de leur gourde. J’écoutais parfois avec intérêt leurs confidences et en apprenais beaucoup sur leur condition, leurs avis et leurs états d’âme. On n’écoute jamais assez les humbles.
Après des escarmouches, des mouvements sporadiques pour enlever une maison ou un couvent des faubourgs, Lannes décida de prendre les opérations du siège à bras-le-corps en portant notre offensive sur trois points de résistance : les couvents de San-Agustin, des Trinitaires et de Santa-Engracia, ce dernier étant le plus redoutable.
C’est sur lui que nous lançâmes la première attaque à la mine.
Nos galeries souterraines parvenues, après des jours et des nuits de labeur acharné, aux abords de cet édifice, nous installâmes d’énormes fourneaux destinés à faire s’effondrer la façade et à livrer passage à nos assauts.
Au jour et à l’heure prévus, sur les coups de onze heures, alors que la population avait déserté rues et places, une formidable explosion retentit. Quelques instants plus tard, le tocsin sonnait à tous les clochers.
Nos troupes n’avaient pas attendu que la fumée et la poussière se fussent dissipées pour marcher vers la brèche ouverte par nos canons. Santa-Engracia était défendue par environ un millier de soldats et de volontaires. Ils livrèrent bataille et, repoussés par une charge des lanciers de la Vistule, se réfugièrent dans l’édifice. Ils allaient se défendre si farouchement que nos lanciers et les fantassins qui les appuyaientdurent s’immobiliser dans les ruines afin de répondre au feu par le feu.
L’affaire était loin d’être conclue, de même que pour les autres objectifs fixés par le commandement général.
Je participai ce même jour à l’assaut contre San-Agustin. Au sortir d’une brèche faite à proximité, nous trouvâmes sur nos devants des défenseurs munis de grenades, et sur nos arrières une horde de civils en armes.
Notre situation était des plus précaires, d’autant que nous ne disposions que d’une centaine d’hommes et que des tirs fusant de partout réduisaient encore le nombre de nos soldats. Lorsque l’artillerie adverse succéda aux lanceurs de grenades, nous nous vîmes perdus. Alors que nous ripostions de notre mieux dans le jardin du couvent, un prêtre en franchit la clôture. Je reconnus à sa longue barbe noire un de nos pires ennemis : le padre Sas y Casayau, qui s’était dressé contre nous quelques jours auparavant. Suivi d’un groupe de combattants, il brandissait d’une main un crucifix et de l’autre un sabre, et vomissait des imprécations bibliques, des harangues en latin et en espagnol. Personne n’osa le prendre pour cible.
Le lendemain, sur les places de Saragosse, il se vantait d’avoir à lui seul tué une vingtaine des nôtres. Il n’avait pas besoin de ce mensonge pour faire la preuve de son courage.
Ce religieux avait son alter ego en la personne du padre Basile qui, lui non plus, ne dédaignait pas l’odeur de la poudre et savait tenir un sabre aussi bien que porter une croix. Durant le premier
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