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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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et avait eu une patte rompue d’un coup de crosse. De ce jour, malgré les exhortations de son maître, il avait renoncé à remplir sa mission.

    Un nouveau combat allait avoir le fleuve pour théâtre.
    Dans l’intention d’apporter des secours au faubourg d’Arrabal situé sur la rive gauche, une barque armée en canonnière avait été prise à partie par la garde de notre pont volant. L’échange d’artillerie étant inégal, la barque espagnole, coupée en deux, avait sombré. J’assistai une nouvelle fois au spectacle affligeant des naufragés que les nôtres tiraient comme des canards sauvages.
    Si je relate cet événement sans grande conséquence, c’est pour démontrer l’efficacité de notre blocus. Marcello Bandera en était le premier conscient, lui qui, plusieurs fois par semaine, par un itinéraire connu de lui seul, faisait la navette entre la ville et notre quartier général. Non sans risques : il avait échappé à de nombreuses reprises aux tirs de nos sentinelles, grâce à sa vélocité et à sa connaissance des lieux.

    Lannes se décida, enfin, à mettre un peu d’ordre dans la confusion qui régnait dans nos unités et à assurer la cohésion de nos offensives. Il est vrai que nous n’étions pas en rase campagne. Attaquer un couvent comme Santa-Engracia n’avait rien de comparable à Austerlitz et Lannes n’était pas Napoléon : il avait le talent ; il lui manquait le génie.
    Il rappela la nécessité d’éviter les dangereux mélanges des armes, sauf en cas de force majeure, ce qui, au fond, ne rimait pas à grand-chose. Nous savions tous que, si un corps de dragons se trouvait en difficulté, il était du devoir des voltigeurs de se porter à leur secours.
    – Messieurs, nous dit-il, ce siège dure depuis trop longtemps. L’Empereur s’impatiente, alors qu’il se prépare à une guerre ouverte contre l’Autriche.
    Ça n’en finirait donc jamais !

    La conquête du vaste bâtiment servant d’hôpital général ne fut pas une mémorable action d’éclat : les premiers àpénétrer, sans essuyer un coup de feu, dans le jardin et les immenses salles ne trouvèrent que des monceaux de cadavres, la plupart en état de putréfaction avancée. Il fallut employer nos prisonniers pour creuser une fosse commune et dresser un bûcher qui brûla durant deux jours et trois nuits.
    Pour pallier les risques d’épidémie, Rogniat fit incendier la bâtisse. La fournaise était telle qu’on ne pouvait s’en approcher à dix pas sans suffoquer. Les magnifiques boiseries et les poutres armoriées partirent en fumée en quelques heures.
    Il ne se passait pas une semaine sans que j’apprenne la destruction d’un bâtiment public ou religieux. J’en avais le cœur meurtri. Je l’aurais mieux accepté s’ils avaient été démolis dans un cataclysme ; qu’ils le fussent par la froide volonté d’un homme, fût-il de mon camp, m’exaspérait. Durant ma brève carrière dans l’armée, j’ai toujours veillé, dans la mesure de mes moyens, à ce que ce vandalisme à l’état pur fût épargné à l’œuvre de ces artisans et de ces artistes qui nous ont précédés et dont nous n’égalerons jamais le talent.
    J’en conviens : ces réflexions ne sont pas dignes d’un soldat, mais la sagesse et la raison ont toujours prévalu dans ma conduite, à la guerre comme dans la vie civile.
    Un autre aveu : celui des contradictions qui m’agitent souvent. Comment concilier l’intérêt que je porte à l’art et les nécessités de la guerre ? Comment déplorer la chute d’une splendide façade baroque et souhaiter le succès des poses de mines ? Ces sentiments et ces comportements qui faisaient mauvais ménage dans ma tête me valaient des nuits blanches.

    À propos du travail de ces ouvriers, un chef de mine nous raconta que son équipe, alors occupée à creuser la terre sous le couvent des Capucins, avait entendu des bruits étranges venant de l’autre côté de la paroi. Lorsque la mince épaisseur de terre s’était effondrée sous le dernier coup de pioche, ils s’étaient retrouvés nez à nez dans la pénombre avec ungroupe de mineurs espagnols. Il s’était ensuivi une violente rixe.
    Le mineur qui nous rapportait cet épisode ajouta :
    – Nous nous sommes battus comme des rats. J’ai éventré deux ou peut-être trois Espagnols. J’ai du mal à m’en souvenir car un coup de pelle sur la tête m’a étourdi. Laissé pour mort, j’ai repris

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