Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
Vom Netzwerk:
de son grand-père, mais rien ne dit qu’elle n’a pas changé d’avis. Qu’en penses-tu, Antoine ?
    Ce que j’en pensais, je n’osai le lui révéler. Il m’agaçait avec ces confidences inopportunes. Il semblait à cent lieues de Saragosse et me prenait pour son directeur de conscience, alors qu’il s’était peu soucié de mes propres blessures. Il était de ces gens qui placent leur ego au centre de l’univers et se moquent des soucis de leurs proches.
    Je lui dis, avant de l’abandonner à ses drames intérieurs :
    – Le mieux, mon cher Louis, serait que tu renonces à cette passion avant que les événements ne se chargent d’y mettre un terme.
    Il m’a tenu rigueur de cette déclaration, au point de m’éviter durant trois jours.

    Ces attaques, qui nous avaient rendus maîtres de ruines, nous avaient coûté plus de six cents hommes et des centaines de blessés. Le bilan était lourd, alors que nous n’avions fait que quelques pas vers la conclusion de ce siège. Presque toute la ville restant à conquérir, nous devions procéder à des assauts d’une autre ampleur.
    Nous n’avions à opposer aux forces énormes mais mal préparées de l’ennemi qu’une hétéroclite armée de métier. Une grande partie, composée d’éléments recrutés dans diverses nations d’Europe, étant d’une fidélité douteuse, des désertions étaient à craindre.

    Marcello Bandera nous apprit que des maladies, consécutives aux privations et à un déplorable état sanitaire,s’étaient déclarées à Saragosse. La population, comme l’armée, allait en être victime. Il avait toujours sa famille en ville et, s’il parvenait tant bien que mal à subvenir à ses besoins, il redoutait une épidémie.
    La junte avait adopté des mesures d’une extrême rigueur. Le moindre propos défaitiste menait à la potence. Une sorte de tribunal populaire rappelant ceux de la Révolution siégeait en permanence. Blessé à la jambe, un jeune officier de l’armée régulière ayant refusé de regagner son poste avait été exécuté. Cette parodie de justice avait son Fouquier-Tinville : il se nommait Basile, comme le jésuite de Beaumarchais.
    Le clergé régulier et séculier tenait le haut du pavé. Il avait sa propre milice, organisait des processions, faisait dire des messes solennelles dans la cathédrale del Pilar, chanter les Dies irae dans le tonnerre des grandes orgues et suscitait des miracles cousus de fil blanc.

    Un matin, alors que j’effectuais une tournée d’inspection, un attroupement retint mon attention. Le spectacle auquel j’assistai me bouleversa.
    Nous avions, parmi nos cantinières, une jeune femme, Angèle, modèle de dévouement et de courage. Jolie et primesautière, elle laissait volontiers les grosses moustaches de nos hommes lui caresser le cou : une complaisance à laquelle elle imposait des limites.
    Des hommes du général Mori l’avaient capturée. Elle s’était défendue bec et ongles mais n’avait pu échapper à leur brutalité et au viol. Ces brutes, après avoir abusé d’elle, l’avaient dépouillée de ses vêtements et crucifiée à une porte. On ne l’avait retrouvée qu’au petit matin, après une nuit d’agonie, le ventre ouvert. Des sapeurs avaient tenté en vain de la ranimer en lui frottant le corps avec de l’eau-de-vie. Lorsque je m’approchai d’elle ses yeux encore ouverts semblèrent me regarder.

    Les généraux Rogniat et Haxo ne chômaient guère. Ils passaient leurs journées et une partie de leurs nuits à inspecter les travaux de sape qui devaient nous mener au centre de Saragosse. Cette progression souterraine était lente et dangereuse. Il fallait fréquemment remonter à l’air libre des ouvriers à demi asphyxiés ou victimes d’un effondrement.
    Rogniat, sans se départir de sa bonne humeur, nous dit un soir, au quartier général :
    – Quelle guerre étrange, mes amis ! Elle ne ressemble à nulle autre. Nous voici transformés en taupes et en rats. Je rêvais d’une bataille au grand jour, en rase campagne. Pourtant j’ai confiance. Nos efforts seront récompensés. Les divinités souterraines me l’ont affirmé…

    Il allait, avec son alter ego , planifier les prochaines attaques. Il faudrait prévoir des combats de rues, maison après maison, grignoter une victoire qui, disait-il, ne pouvait nous échapper.
    Le 30 janvier un fourneau de mine éventra la façade de Santa-Monica, ouvrant la voie aux baïonnettes du

Weitere Kostenlose Bücher